Allocution de Géraldine Rose (Nantes, 13 juin 2014)

Allocution de Géraldine Rose (Nantes, 13 juin 2014)

Cela fait maintenant un peu plus de 15 ans que j’enseigne. J’ai toujours voulu être enseignante, j’ai ce que l’on appelle « la vocation ». Après trois ans de remplacements en région parisienne, j’ai voulu m’installer dans un poste fixe et j’ai demandé un poste en ZEP à Sainte Geneviève des Bois, commune limitrophe de Fleury Mérogis et de Grigny. Depuis je n’ai plus quitté la ZEP! En arrivant sur la région, j’ai redemandé un poste en ZEP.

 

Jeune enseignante en banlieue parisienne, parachutée avec des 4éme d’Aide et soutien, des 3éme d’insertion, enseigner a rapidement été compliqué ! Entre les bagarres, les insultes entre élèves, les collègues entrant en salle des profs en larmes, enseigner le théorème de Pythagore ne fut pas aisé.

Et aujourd’hui encore on retrouve les même problèmes.

–                    A la cantine, un élève de 4ème frappe une autre élève de 6ème. La victime se retrouve par terre, avec des coups de pied dans le ventre. La raison invoquée : la victime avait renversé son verre  d’eau sur le garçon de 4ème, sans le faire exprès.

–                    En sortant de cours, une collègue se fait cracher dessus par un élève. Motif invoqué : j’ai juste toussé et je suis enrhumé !

–                    Deuxième jour de remplacement pour une contractuelle : un élève de 12 ans la plaque au mur en fin de cours. Elle lui a demandé d’attendre 5 minutes à la fin du cours pour lui rendre son carnet sur lequel elle indiquait son attitude nonchalante et insolente. Une semaine après, l’élève continue à aller en cours comme si de rien n’était, sans aucune sanction

–                    Une collègue fait part à un élève de son inquiétude sur son manque de travail en 3ème, sachant qu’il n’a pas d’orientation pour l’année suivante. Il répond : « c’est pour vous que je m’inquiète, avec vos cours pourris, c’est vous qui allez vous faire virer »

Et je passe sur les insultes quotidiennes envers les enseignants, les bagarres, les problèmes de racket, les parents qui contestent les punitions, qui exigent un changement d’enseignant quand ce dernier force leur enfant à travailler en classe…

 

Mais on peut aussi comprendre les parents. On leur promet une école sans violence : un lieu de vie bienveillant, une école du savoir où chacun pourra progresser à son rythme : une école pour tous. La promesse n’est pas tenue, et le doute s’installe…

 

Et qu’en est-il réellement ?

Grâce au collège unique, voici le type de classe que j’ai en face de moi : 21 élèves dont : 4 élèves relevant d’un handicap (en Unité Localisée d’Inclusion Scolaire), deux élèves ne comprenant quasiment pas le français, trois élèves relevant de SEGPA ( Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté) et plusieurs élèves qui sont passés dans les classes supérieures sans avoir le niveau requis et qui souhaitent être en apprentissage. Il y a de quoi s’arracher les cheveux en tant qu’enseignant. Surtout lorsque l’on rencontre les parents, et que l’on doit reconnaître que nous ne pouvons pas gérer les difficultés de leur enfant comme l’école le leur avait promis !

 

Alors comment faire en ZEP ?

Nos élèves sont démotivés, on m’a conseillé de faire des projets !

Alors j’ai fait comme beaucoup, des projets de classe sympathique (voyage à la neige, à la mer, sorties…) en espérant que mes élèves se mettraient à travailler !

Ça n’a pas marché, en tout cas pas très bien. Certes mes élèves étaient heureux, mais leur niveau ne décollait pas beaucoup…

 

On m’a dit qu’il fallait simplifier les cours, que les jeunes issus de quartiers défavorisés ne pouvaient pas travailler chez eux, donc il faut tout faire en classe. Alors j’ai simplifié, j’ai mis mes élèves en « activités » pour qu’ils découvrent par eux même les notions : ils ne comprenaient plus rien. J’ai utilisé des problèmes concrets pour leur faire comprendre l’utilité des mathématiques. J’ai suivi des formations : de la gestion mentale à comment intégrer les élèves dyslexiques, en passant par le travail par compétences ou encore comment évaluer sans mettre de mauvaises notes !

Ça n’a pas changé le climat dans mes classes. Ça a même été pire pour l’expérience de la classe sans note. Ils m’ont dit : «  ça va ! on n’est pas des bébés, on veut des notes » !

 

Je me suis tournée vers la psychologie et la sociologie pour tenter de trouver des réponses. Après tout, peut-être qu’en mélangeant tout ça, ça va marcher ?

J’ai expérimenté, pratiqué les « innovations pédagogiques ». J’ai fait du suivi individuel d’élève, j’ai été compréhensive et psychologue en classe : « un élève qui m’insulte est juste un élève en grande souffrance car il a mal résolu son œdipe, il faut attendre que sa crise passe en lui souriant et faire preuve d’une grande compréhension, faire un pas vers lui pour qu’il fasse un pas vers l’école… »

 

J’ai animé des formations sur la prise en compte de la difficulté scolaire au collège. Et je me suis rendu compte que, dans bon nombre d’établissement, on baissait les bras devant l’ampleur de la tâche. Qu’il était plus facile de conforter l’enfant dans ses difficultés en lui niant le droit de progresser. En présupposant que, comme il est en ZEP, il ne pourra jamais atteindre un niveau satisfaisant de connaissances (comme me l’a dit un inspecteur en me demandant de mettre des points si un théorème de mathématiques est correctement rédigé dans un contrôle, même si ce n’est pas la solution à la question).

 

Tout ça pour vous dire que la problématique de la difficulté scolaire des ZEP n’est pas simple. Mais elle est passionnante :

 

Car, comme on peut le lire sur le site du collectif racine: « A l’école, se prépare l’avenir de la Nation. Elle instruit le citoyen, capable de penser par lui-même et d’assumer sa liberté. »

 

Car le défi est plus grand encore en ZEP car les élèves y accumulent toutes sortes de difficultés,

 

Car le travail de l’enseignant en ZEP doit y être encore plus précis.

 

Car y voir les élèves réussir et y prendre plaisir est une grande satisfaction.

 

Car là, on a vraiment l’impression que l’ascenseur social de l’école pourrait agir.

 

C’est pour toutes ces raisons, et après avoir essayé de nombreuses pistes, que j’en arrive à la conclusion suivante : l’école doit être ambitieuse et exigeante pour tous et partout en France. Ainsi seulement, nos enfants pourront grandir sans être dans l’ignorance.

 

 

L’école doit être ambitieuse pour nos enfants : car ils le valent bien !

Ils ont besoin que l’on croit en eux. Si nous ne leur ouvrons pas la porte de la culture, nombre d’entre eux n’y entreront jamais. Qu’est ce qu’une société attend de l’école si ce n’est aider nos enfants a mieux comprendre le monde pour mieux y grandir ?

 

Être ambitieux pour nos enfants, c’est être ambitieux sur le contenu des enseignements. C’est, au minimum, exiger qu’ils sachent lire, écrire et compter correctement. La mise en avant de l’acquisition de compétences au détriment des savoirs, conséquence directe de la mise en place du Socle Commun, place l’élève dans une démarche intellectuelle purement utilitaire.

 

Être ambitieux pour nos enfants, c’est permettre à chacun de donner le meilleur de soi-même, de devenir « expert » dans ce qu’il sait faire le mieux tout en ayant une culture générale solide. Pour cela, il est clair qu’une revalorisation de l’apprentissage est fondamentale. Quand le projet actuel est de mettre des élèves de SEGPA en inclusion dans une classe de collège, c’est clairement nier les difficultés de ces élèves.

 

Et il nous faut être exigeant, car on ne peut être ambitieux sans être exigeant.

 

Exigeant sur la discipline, le respect de l’autre. Être bienveillant envers nos élèves, c’est faire en sorte que l’école soit un lieu de travail, paisible et serein où la violence n’est pas le maître mot. Où l’enfant tout puissant ne règne pas mais où l’adulte est le garant de sa sécurité physique et intellectuelle.

Car il n’y a que dans ce climat que nos élèves pourront apprendre. Comment un élève peut-il aller à la rencontre du savoir dans une école où la violence est quasi quotidienne? J’ai souvent rencontré des élèves qui faisaient le choix de ne pas avoir de bons résultats de peur des représailles des autres élèves. Comment trouver le temps, pour un enseignant, de parler de sa matière alors que l’on est débordé par les problèmes d’incivilités?

 

Et là, le chemin risque d’être long et difficile…

Car quand on lit dans la circulaire de rentrée 2014, concernant les sanctions avec sursis, qu’ « il s’agit de favoriser le recours à ce type de sanctions pour donner à l’élève la possibilité de témoigner de ses efforts de comportement », on a du souci à se faire!

 

Exigeant et bienveillant, nous ne le sommes pas quand on met en place des cycles de trois ans pour éviter les redoublement.  Pourquoi se mettre au travail si, de toute façon, on passe dans la classe supérieure ? Et ce n’est pas en supprimant les évaluations chiffrées que nos élèves vont se mettre au travail.

La note peut, au contraire, servir de levier de réussite. Elle reconnaît les efforts de l’élève, cela ne remet pas en cause la prise en compte de ses difficultés. Elle lui apporte des repères, ce qui manque cruellement dans notre société. Qui suis-je, comment je me positionne vis à vis de mes pairs ?

 

Les notes permettent un meilleur choix d’orientation (je sais clairement où se situent mes points forts), valorisent l’estime de soi : je travaille et je suis reconnu pour ce travail. Et non, je suis un assisté qui se laisse porter par des « bien pensants », en tout cas des «mieux pensants » que moi. L’élève, pour éviter le décrochage, doit être acteur de sa scolarité et non la subir.

 

C’est pour tout cela que l’école a besoin que l’on prenne soin d’elle. Et quand je lis ici ou là que le Collectif Racine n’aurait d’autre objectif que de faire rentrer la politique à l’école, je réponds qu’ils se trompent et qu’au contraire, c’est l’école qu’il faut faire rentrer en politique.

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