Conférence de Valérie Laupies (12 octobre 2013)

Chère Marine, chers membres fondateurs du Collectif Racine, chers collègues, chers parents d’élèves, chers amis, messieurs et mesdames les journalistes,

 

Cela fait maintenant 20 ans que j’enseigne comme professeur des écoles en ZEP et 6 ans que j’assure en plus la direction. J’ai par conséquent pris racine dans cette institution qu’est l’Education nationale. Racine ne veut pas dire pour moi étouffée par le poids des années de l’arbre mais au contraire vigueur et force car  j’ai la chance d’aimer toujours passionnément mon métier. Cela grâce au fait de ne m’être  pas laisser je crois « avaler » par un système  dégradant année après année notre profession. Elle a été à tel point dévoyée notre profession  que l’opinion publique en général  méprise les enseignants et  ne leur fait plus  confiance. Y compris le Front national, qui fut un temps, n’a pas échappé à ce regard. Or,  je peux vous assurer  qu’avec Marine ce temps est révolu, je le sais d’autant plus que j’ai l’honneur et le bonheur d’être sa conseillère politique pour l’enseignement primaire.

Issue d’un milieu modeste, mes instituteurs  dans les années 70 m’ont quasiment tout donné, assouvissant ma soif de connaître afin de devenir un être libre, désirant savoir d’où je venais et où je devais aller, buvant les paroles de mes professeurs instruits et cultivés. Cette époque était encore celle où l’ascenseur social fonctionnait, où la reconnaissance du mérite était de mise. Alors également grâce au respect que les parents avaient du travail scolaire et des professeurs, j’ai pu choisir mon métier.

 

J’ai été « formée » en tant qu’enseignante par Philippe MEIRIEU lui-même à l’IUFM de Lyon où il était directeur. Philippe MEIRIEU est un chercheur et écrivain français, spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie. Il a été l’inspirateur de réformes pédagogiques comme l’instauration des modules au lycée ainsi que des IUFM au début des années 1990 sous la houlette du ministre de l’EN Lionel Jospin.

Je pourrais décrire mon parcours de professeur des écoles en deux périodes : celle où j’étais attirée par les pédagogies « non-directives » où l’on fait appel à la spontanéité de l’enfant, et celle où le maître transmet le savoir en instituant les valeurs de travail, effort, mérite.

J’ai donc exercé de façon « non-directive » pendant 5 ou 6 ans ; les inspecteurs appréciaient car c’était dans la droite ligne de ce que j’avais appris à l’IUFM : » l’enfant au cœur du système d’apprentissage, acteur de son savoir ». Je souhaitais rendre les élèves autonomes dès le plus jeune âge en leur confiant des responsabilités dans la classe comme si celle-ci était simplement un lieu de vie où s’exercerait leur citoyenneté.

Or, en ZEP cette aventure est épuisante car la plupart des enfants n’ayant pas les bases de l’éducation, ont besoin en réalité davantage que les autres, d’un cadre rigoureux. Je me suis donc heurtée à la réalité de la nature de l’enfant, qui n’est pas forcément celle du « bon sauvage » mais souvent celle du «  sauvageon » et j’ai compris qu’il fallait que je sois véritablement la maîtresse en affirmant mon autorité. Cela m’est venue d’autant plus clairement à l’esprit que j’étais devenue mère de famille. Je me suis dit alors : « ce n’est pas l’enfant qui décide, c’est l’adulte qui sait ce qui est bien pour lui ; c’est cela être un parent ou une maîtresse responsable » et tout a changé.

 

Mon métier est devenu plus simple, plus encourageant pour moi, pour les élèves, pour les parents, en résistant à l’idéologie des chercheurs en sciences de l’éducation (comme si l’éducation était une science !), idéologie niant l’excellence de l’Ecole française durant des décennies, méprisant le dévouement des instituteurs conscients de leur mission en les nommant « les dinosaures de l’Education nationale».

Mon métier est devenu plus simple  en résistant à cette idéologie qui a fait de nos enfants de véritables cobayes des innovations pédagogistes, qui a contradictoirement infantilisé les enseignants en leur demandant d’appliquer chaque année une nouvelle méthode selon la lubie de l’inspecteur ou de la dernière réforme plutôt que de leur laisser la souveraineté dans leur classe.

En résistant à cette idéologie, j’ai pu garder la foi dans mon métier. Je sais aussi que cette force actuellement je la dois  à la reconnaissance de Marine pour les enseignants car elle est la seule à leur faire confiance en voulant leur rendre leur autorité au lieu de leur promettre « davantage de moyens » comme tous les autres politiques.

 

Ce n’est évidemment pas à vous chers collègues que je vais apprendre que l’état de l’école primaire est très mal en point. Les enfants, à sa sortie, maîtrisent de moins en moins bien la langue française. Beaucoup ne savent pas lire à l’entrée en 6ème. De même en mathématiques, les apprentissages de base sont sinistrés. L’histoire-géographie ou les leçons de sciences sont des disciplines elles aussi touchées par la dégradation.

En corrélation avec cette maladie, c’est aussi la vie à l’école qui est devenue difficile, à la fois pour les enseignants mais aussi pour les élèves les plus fragiles, car c’est la loi de la jungle qui y règne si le directeur n’exerce pas son autorité pour assurer la sécurité. Encore faut-il pour cela qu’il soit soutenu par sa hiérarchie, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, tellement la sanction est assimilée dans l’Education nationale à un acte de violence, d’abus de pouvoir, de répression, terme évidemment considéré comme un vilain mot.

 

Les dispositifs onéreux mis en place depuis trente ans comme les heures de soutien par centaines ont servi uniquement à tenter de sauver un système dont les effets pervers sont de plus en plus dramatiques. La pratique ludique des nouvelles technologies et la multiplication des activités périscolaires empiètent  sur les apprentissages systématiques qui sont les fondements de l’instruction. Par conséquent  la réforme des rythmes scolaires va aggraver  ce phénomène. Le redoublement est banni puisque c’est une politique comptable de flux qui domine.

Les conséquences pour notre pays sont  désastreuses. En effet, comment ces élèves peuvent-ils devenir de bons professionnels que ce soit dans l’ingénierie, l’industrie, dans l’artisanat ou même dans l’administration, si les connaissances fondamentales n’ont pas été acquises ? A plus court terme, c’est le travail des professeurs du secondaire et de l’université qui est impacté car les jeunes qu’ils reçoivent n’ont pas la maturité intellectuelle pour suivre les cours.

 

Je suis convaincue que la formation des élèves qui va de la maternelle à l’entrée en 6ème a un rôle névralgique. En effet, c’est entre 4 et 10 ans que l’enfant prend les bonnes habitudes morales, les habitudes de travail, de rigueur, que son cerveau se structure grâce à la répétition et aux exercices de systématisation. C’est entre 6 et 10 ans que  grâce à la méthode syllabique allant de la lettre à la syllabe, de la syllabe au mot et du mot à la phrase, que tous nos enfants pourraient savoir lire en sortant du primaire. Ce qui éviterait d’ailleurs que les orthophonistes soient  débordés par le nombre d’enfants n’ayant déjà plus d’appétence pour l’école dès 7 ans. C’est entre 4 et 10 ans que l’emploi du temps  ritualisé au sein de la petite famille qu’est le groupe classe encadré par le maître peut et doit « élever » les esprits des enfants au sens propre du terme.

Il est vrai qu’en ZEP notamment  l’immigration de masse pose un problème supplémentaire. Il est en effet difficile d’instruire les élèves d’origine immigrée au même rythme que les élèves parlant français à la maison et ayant l’éducation culturelle  de l’école républicaine. Ce ne sont toutefois pas par les parcours « individualisés » que l’on demande aux enseignants d’instituer en rédigeant des pages entières de projet de classe, projet d’école, projet de cycle  que les élèves obtiendront tous le même niveau. C’est en exigeant l’assimilation à nos règles et nos lois républicaines, en exigeant d’eux des efforts supplémentaires pour rattraper le retard dans les disciplines défaillantes, en freinant leur nombre qui tend à devenir majoritaire dans les classes, que nous pourrons aussi redresser l’école.

 

On a donc brouillé les repères pourtant simples, clairs et structurant qui ont fait de notre Ecole républicaine celle que de nombreux pays admiraient. On a rendu le travail scolaire confus et parfois inintelligible pour les élèves, les enseignants, les parents. Il est par conséquent urgent de rétablir la place de chacun de ces membres dans leur mission qui leur sont propres.

L’élève  doit obéir et respecter le professeur, l’enseignant  doit transmettre les savoirs disciplinaires de façon rigoureuse, les parents doivent  accompagner leurs enfants dans leurs devoirs d’élève.

 

D’autre part, je pense que pour redresser l’école, il faut dans le premier degré retrouver les fondements de l’école primaire, c’est-à-dire affirmer le principe suivant : l’élève ne construit pas seul son savoir, le maître doit le lui transmettre. Il faut donc refaire des programmes clairs et concis compréhensibles par tous. Il faut réaffirmer la nécessité de la notation, demandée par tous les membres de l’équipe éducative, par les élèves en premier lieu d’ailleurs, car la notation est le seul repère objectif pour les enfants, les professeurs, les parents.

Dans ce cadre-là, les enseignants doivent retrouver leur liberté pédagogique, c’est-à-dire procéder comme ils l’entendent selon les particularités de leur classe et leur expérience. Ils ne doivent être évalués que sur leurs résultats et non sur la forme de leurs pratiques pédagogiques.

L’école primaire doit donc être réformée en profondeur, ce qui suppose aussi que le statut de l’école soit revu afin que le directeur puisse gérer son établissement comme un véritable chef d’établissement, à l’instar du Principal ou du Proviseur. La rémunération des professeurs des écoles, de niveau bac +5 doit être revalorisée. Le budget de l’EN le permet si l’on stoppe les créations de postes démagogiques tant dans les classes que dans l’administration centrale.

 

Alors, vous en conviendrez, il s’agit de restaurer une véritable Institution républicaine et non plus de colmater des brèches. Le politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire. Marine nous l’a redit lors de l’Université d’été. Le CPP, « c’est pas possible » de nos adversaires politiques est un prétexte  pour décourager les Français qui ont encore foi en la France, qui ont encore foi en l’école.

Il est plus que nécessaire de s’atteler au redressement de notre noble pays et par là-même de notre école. Je suis persuadée de l’objectif suivant de Marine et du Collectif Racine : l’école peut se redresser relativement vite si l’on prend la bonne direction. J’’en fais l’expérience tous les jours dans mon établissement et c’est ce qui me donne des ailes pour aller chaque matin au travail.

En effet, les enfants  n’aspirent qu’à une chose : grandir et s’élever dans le bon sens, guidés par des professeurs qui croient en leur métier et en cette belle institution qu’est l’école de la République.

Alors, j’ai envie de vous relater mon meilleur souvenir professionnel, un peu sentimental je vous l’accorde :

Il y a 10 ans, j’étais dans un ZEP  plus difficile que celle où je me trouve aujourd’hui. J’étais parfois désespérée du fait que les petits gitans ne venaient pas souvent en classe, que le niveau était extrêmement bas. Pour que les élèves travaillent, il fallait vraiment se lever tôt !

Pourtant, ils m’avaient fait le plus grand plaisir d’apprendre tous correctement une poésie que j’avais trouvée dans un  placard de l’école, s’intitulant « le plus beau pays du monde » (il s’agissait de la France). Il faut dire que j’en étais d’autant plus ravie que 50% des élèves étaient  maghrébins et gitans.

 

Je sais que si vous êtes venus à notre colloque c’est parce que vous êtes comme moi attachés à tirer les enfants vers le haut, c’est-à-dire à les élever. Alors je souhaite de tout cœur avec Marine et le Collectif Racine vous avoir donné une note d’espoir pour le Devenir de notre école et de notre pays La France !

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