Jean-Paul Brighelli reprend l’analyse du Collectif Racine sur le numérique à l’Ecole

Jean-Paul Brighelli reprend l’analyse du Collectif Racine sur le numérique à l’Ecole

Jean-Paul Brighelli exprime une nouvelle fois, dans sa chronique du Point, sa proximité avec le Collectif Racine, en citant in extenso le dernier communiqué d’Alain Avello :

Du numérique comme panacée

Pour sauver l’école, François Hollande a annoncé un plan numérique. Bon sang, mais c’est bien sûr ! Les imbéciles applaudissent. Brighelli se fâche.

Par JEAN-PAUL BRIGHELLI

Les temps de crise sont propices aux grands désarrois. Devant des événements qui les dépassent, les hommes s’en remettent volontiers au premier Savonarole qui passe, ou au premier élixir susceptible de soigner leurs angoisses, leurs cors aux pieds et le rhume des foins.

Ces temps-ci, la panacée de l’Éducation nationale (qui est en soi une crise à l’intérieur d’une crise), c’est le numérique. L’informatique. Le tableau interactif. La tablette. Les MOOC. N’importe quoi qui coûte de l’argent (beaucoup d’argent, même), dont l’efficacité est très douteuse, mais qui donne un semblant d’espoir.

Pendant ce temps, le massacre des innocents continue. L’écran de l’ordinateur est un écran de fumée.

Les béni-oui-oui de l’informatique

De passage dans une école Potemkine – le collège Louise-Michel de Clichy-sous-Bois, tout récemment reconstruit pour 42 millions d’euros -, François Hollande, accompagné de Najat Vallaud-Belkacem et de Claude Bartolone, a donc annoncé « un grand plan numérique à l’école ». « L’État mettra tous ses moyens pour former les enseignants, assurer partout l’arrivée du très haut débit, et pour que les éditeurs de livres puissent également mettre les contenus sous forme numérique, de manière à ce que chacun puisse y accéder. » Nous voilà sauvés.

C’est du moins ce qu’ont compris (oui, je sais, ce con-con frise le kakemphaton, mais il est volontaire) les journalistes présents, et même les journalistes absents. Chorus dans la presse. Le Sauveur s’est une nouvelle fois incarné, cette fois sous forme de tablette. De BFM au Nouvel Obs ou Libération, du plat pays nordiste en passant par La Réunion, ce n’est qu’un cri de délivrance. Bon sang, mais c’était bien sûr : si ça ne marchait pas à l’école, c’était par manque de claviers et d’écrans…

Le site officiel du ministère n’a pas manqué l’événement. Sur sa plateforme, il renvoie aux merveilleuses initiatives de ces enseignants câblés (moitié profs, moitié geeks) qui donnent l’exemple aux vieilles barbes dans mon genre. Par exemple Damien Lebègue, prof de gym à qui l’utilisation des tablettes permet de résoudre les problèmes de ses élèves à la traîne. Vous pensiez que le sport est une activité physique : détrompez-vous, c’est juste une question de pianotage.

Et la pratique sportive du coup de pied au cul des idiots utiles de l’industrie numérique, cher Damien Lebègue, qu’en pensez-vous ?

Des investissements massifs pour des résultats douteux

À partir de 2000, le département des Landes – puis d’autres après lui – a investi lourdement dans l’informatique au collège. Onze ans plus tard, des chercheurs ont déposé le bilan de cette expérience : si les « compétences » en recherche d’information – c’est bien le moins ! – semblent s’être développées, les résultats au Brevet du collège sont restés les mêmes. Certaines années, ils ont même baissé. Ah bon ? Les ordinateurs ne pallient pas les insuffisances du Lire-écrire-calculer ?

L’interactivité, comment ça marche ? « Ce jour-là, en cours d’histoire, raconte le journaliste, la France avant la Révolution est au menu dans cette classe de CM2, à Paris. Planté devant ses camarades, l’élève encercle d’un trait de crayon électronique le portrait d’un ecclésiastique sur le tableau blanc interactif, qui a remplacé le tableau noir au mur. En un clic, les vingt-six petits élèves découvrent le mot clergé qui s’affiche en lettres cursives sur le tableau, piloté à distance par l’enseignant depuis son ordinateur. »

Ah ? Et s’il avait écrit le mot au tableau avec de la craie, en expliquant de quoi il s’agit, ce serait allé moins vite ? Ils auraient moins compris ? « Dans cette école publique, les élèves ont une longue habitude des tableaux interactifs, grâce à un financement exceptionnel direct des parents, contournant le manque de subventions. » L’auto-financement, grande idée ! Voilà qui épargnera bien des migraines aux grands esprits de la rue de Grenelle et de Bercy conjugués !

Les seuls qui se félicitent de cet engouement général, ce sont les fournisseurs d’équipements – des Chinois, pour la plupart. C’est ça, l’indépendance industrielle.

Google, une colonie de vacances

Je ne suis pas de ceux qui auraient brûlé les imprimeries et Gutenberg avec. Un nouvel outil me séduira en fonction de son utilité – mais il n’est qu’un outil. Quand Kasparov a battu Big Blue, le super-ordinateur monté par IBM pour jouer aux échecs, il n’a pas battu une machine, mais ses programmateurs. Et quand Deep Blue l’a battu, ce n’était pas une machine, mais la somme des compétences des grands maîtres enrôlés pour tenter de vaincre le champion du monde. Un ordinateur est un instrument à mon service – celui sur lequel je rédige cette chronique n’est que ce que j’en fais. Il me fait gagner du temps, mais, en lui-même, il n’a pas le commencement d’une idée.

Il m’arrive aujourd’hui de l’utiliser en classe, en temps réel, pour dénicher une information – mais je ne perds pas de temps à inciter mes élèves à la chercher dans le maquis de Google, je leur dis où ils la trouveront. Qu’aurions-nous pensé d’un prof qui aurait mis la Bibliothèque nationale à la disposition de ses étudiants, sans leur dire où était le livre désiré ? Il est un temps pour tout – pour apprendre posément, puis pour chercher par soi-même. Un enseignant est un initiateur, un transmetteur de savoirs – pas un animateur de jeux de piste sur Google. L’école n’est pas une colonie de vacances.

Les spécialistes d’informatique d’e-Bay ou de Google sont si peu obsédés de machines qu’ils inscrivent leurs enfants, en Californie, dans des classes dépourvues d’ordinateurs, et qui font la part belle aux travaux pratiques. Non pas la main au clavier, mais la main à la pâte ! Nos enfants, raisonnent-ils, ont bien le temps d’utiliser les machines : ils s’y mettront quand ils seront en âge de les dominer. Ils ont bien le temps de devenir autistes, seuls face aux écrans…

Loys Bonod, dont je pense un bien considérable, a commis sur son blog une longue analyse, intitulée avec malice In Coda Venenum, de cette fièvre de nouveauté. Je renvoie volontiers le lecteur à cette somme.

Un double renoncement

Qui a donc osé écrire : « À en croire la solennité qui entoure de telles proclamations, la panacée aux maux dont souffre l’École est là, c’est chose certaine : son besoin le plus pressant réside dans la mise en oeuvre d’un grand plan numérique qui, à l’horizon 2016, conduira tous les collèges à entrer dans une nouvelle ère. […] Le marché est si juteux qu’il faut absolument plier le cerveau des élèves à des technologies qui n’ont pas été pensées pour eux, à l’origine. Et si cela permet d’économiser des postes d’enseignants, c’est encore mieux : un ordinateur ne fait pas d’heures sup’, il ne réclame pas de retraite. Pour le supplément d’âme, vous repasserez.

L’informatique, le numérique, la belle affaire ! Voilà ce qu’invoquent et sacralisent, depuis plus de trente ans, ceux qui, ayant abdiqué toute ambition pour l’école, en viennent à confondre les moyens et les fins, le numérique se trouvant élevé de simple outil au rang de fin en soi. Encore le plan informatique pour tous (IPT) des années 80 contribuait-il au soutien de l’industrie nationale – c’était le temps où les écoles s’équipaient d’ordinateurs Thomson. Au contraire, la généralisation du numérique en milieu scolaire répond aujourd’hui à la logique mondialiste requérant cette déterritorialisation des enseignements préfigurée par les MOOC (Massive Open Online Course).

Que l’école, pour autant que cela soit utile, doive intégrer les nouvelles technologies à titre de moyens éducatifs et d’enseignement, chacun en conviendra. Mais, quand rien n’est dit ni fait concernant l’essentiel – les contenus, les méthodes, la sérénité nécessaire pour apprendre -, présenter le numérique comme panacée aux difficultés que connaît notre système scolaire constitue l’indice parfaitement clair d’un double renoncement : celui de l’École à remplir ses missions essentielles et celui d’une nation à assurer son avenir à travers l’instruction qu’elle dispense. »

L’auteur de ces lignes, c’est Alain Avello, président du Collectif Racine, qui regroupe quelques enseignants proches du FN. J’entends d’ici les imbéciles dire que j’en suis forcément. Pas même : et sur les forums d’enseignants, nombreux sont ceux qui déplorent que le bon sens n’appartienne plus qu’à ce que les mêmes imbéciles sus-cités, cocus du « grand projet pour l’école » de Hollande, s’obstinent à appeler extrême droite. C’est de volonté et de programmes ambitieux que nous avons besoin. D’une juste rémunération pour un travail complexe et parfois épuisant, et pas d’investissements lourds dans des mirages technologiques. D’enseignants qualifiés, et pas de machines.

Source : Le Point

Un commentaire on "Jean-Paul Brighelli reprend l’analyse du Collectif Racine sur le numérique à l’Ecole"

  • sacépé philippe dit

    Je partage totalement votre analyse a propos de l’informatique a l’ecole . J’ai en plus la prétention de connaitre un peu le sujet .
    En effet, j’ai enseigné l’informatique des 1984 dans une section de BTS, et dans le supérieur. J’ai également participe au programme « informatique pour tous « a l’ecole lance par L Fabius , 1° ministre en 1985….un fiasco ….
    L’informatique est un extraordinaire outil, mais doit etre utilisé avec beaucoup de retenue par les enseignants, et les enseignés ..
    On l’a vu apparaitre dans les lycée a travers les TPE (Travaux Personnels Encadrés) . Cela consistait en realité , a faire du copier-coller entre des sites internet et la copie de l’éleve, et en aucun cas , a apprendre et a reflechir . Du temps complétement gâché ( sauf quelques cas isolés )
    En résumé , l’informatique ne palliera jamais les insuffisances de notre enseignement public .Quand a l’enseignemant de la programmation pour tous , c’est ridicule, et cela a deja été tenté en 1970 a travers le LSE ( Langage Symbolique d’Enseignement )…
    cordialement
    Ph.S.