« J’ai le plaisir de vous annoncer que nous passons REP+ à la rentrée prochaine ! »
par Géraldine Rose
Quel bonheur, quelle joie de savoir enfin que nous passons REP+ ! Un rayon de soleil pour nous, cette nouvelle. Grâce à cette dernière mesure, tout va changer dans notre travail. Nous allons pouvoir enfin enseigner, la violence va diminuer…
Eh bien, moi, j’ai le plaisir de vous présenter « ma REP+ »..Alors, par où commencer : j’hésite !
A l’ère des statistiques, je commencerais bien par quelques chiffres. Pour deux mois de travail : une quarantaine d’exclusions de l’établissement allant de 1 à 5 jours, trois conseils de discipline, des professeurs qui se font insulter, menacer, qui s’effondrent en larmes, des élèves qui se font frapper en plein cours…
Mais entrons dans le vif du sujet. Pour faire court, je raconterai juste ma dernière semaine.
Je vais chercher mes élèves dans la cour le matin. J’esquive un ballon qui vole et des crachats au sol : sportif ! Je me dirige vers un groupe d’élèves, je cherche les miens près du numéro de leur classe inscrit au sol : personne ! Ils sont un peu partout, me regardent les appeler, et ne bougent pas ! Grrrrh, je m’énerve et là, ils daignent venir en râlant. Ça commence bien ! Le temps de monter un étage et d’esquiver les bousculades de l’escalier pour ne pas tomber et j’ai déjà perdu la moitié des élèves…
Arrivé en classe, un élève discute : je lui demande de changer de place et, en se levant, il donne une gifle à son voisin qui lui donne un coup de poing en retour : tout va bien, « c’est pour rire ! » me disent-ils ensemble ! Je fais mon cours…
C’est la récréation, j’arrive en salle des profs : un collègue, désespéré, nous raconte qu’un élève est sorti de son cours en le menaçant car le professeur avait osé le regarder. Alors, maintenant, nous devons enseigner en regardant par terre ?
Je regarde la liste des exclusions qui s’allonge chaque jour. Aujourd’hui, une élève de 6ème a deux jours d’exclusion car elle a lancé un œuf sur la tête d’un élève en cours. D’un autre côté, ça aurait pu être sur le professeur !
Je reprends mon parcours du combattant pour aller chercher mes élèves…et je fais cours !
C’est la fin de la matinée. Je me dirige vers la salle des professeurs, je sépare deux élèves qui se battent, demande aux élèves de sortir du couloir : ils partent en courant…je les suis… et je les perds ! Bon bah, je vais déjeuner.
Je trouve ma collègue qui nous raconte comment, lors d’une séance sur le droit des femmes, elle s’est fait « bordéliser » et humilier par sa classe car elle condamnait la récente lapidation d’une femme pour adultère ! Raccourci des élèves : ma collègue est libertaire, cautionne l’adultère donc finalement, elle mérite la même chose… terrifiant ! Elle pleure, encore bouleversée presque un an après !
Ce serait trop long de vous décrire la suite en détails, alors, voici un extrait:
une élève s’enferme dans les toilettes pour échapper à la CPE
une élève menace de se taper la tête contre les murs si on l’oblige à s’asseoir sur une chaise en cours
un élève en frappe dans les côtes un autre en plein cours…
Alors oui, merci de nous annoncer que c’est un plaisir d’être en REP+. Davantage de réunions d’équipes pour dire que ça ne va pas, plus d’arguments pour dire que ce n’est pas de la faute des élèves mais bien nos cours qui ne sont pas adaptés, davantage d’innovations, plus d’expérimentations, pour nous faire croire qu’avec une tablette, sans les notes nous serons plus efficaces et bienveillants, davantage d’argent, tout ça pour tenter de nous faire croire que nous sommes encore des enseignants !