Réforme du collège : la catastrophe qui vient
par Benjamin Briand
Les enseignants du collège soucieux de la réussite scolaire de leurs élèves pressentent déjà que la réforme du collège proposée par Mme Vallaud-Belkacem va droit dans le mur. L’opposition à cette réforme s’est cristallisée sur la suppression du latin en tant qu’option facultative, qui représente déjà en soi un scandale. Mais nous voudrions montrer que les critiques faites jusqu’ici ne pointent que la partie émergée de l’iceberg : la réforme du collège votée par le CSE vendredi dernier constitue véritablement une catastrophe pédagogique qui hypothèque l’avenir de nos enfants.
1. Moins d’heures d’enseignements disciplinaires, donc moins d’heures pour les fondamentaux
Dans un communiqué de presse du 10 avril 2015, après que le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) vient d’adopter le décret et l’arrêté sur la réforme du collège, Mme Vallaud-Belkacem affirme :
« La ministre a par ailleurs souligné que les discussions menées ces dernières semaines avaient permis d’apporter de vraies réponses, en assurant la stabilité des horaires disciplinaires et de trouver des réponses à certaines inquiétudes qui s’étaient exprimées sur les langues anciennes ou sur les langues vivantes. »
Pour ne pas effrayer parents et professeurs, le ministère tente de minimiser les effets de la réforme sur les horaires de cours : ainsi, on assure que le nombre d’heures d’enseignements disciplinaires, c’est-à-dire les horaires consacrés à une matière en particulier, sans interdisciplinarité ni accompagnement, est maintenu en l’état. Un simple examen de la grille horaire proposée pour les classes de 6e, 5e, 4e et 3e (consultable ici) permet de remettre en cause cette affirmation. La manœuvre du gouvernement consiste à faire croire que le volume horaire en français, mathématiques et histoire-géographie ne va pas changer, en ne précisant pas où seront réparties les heures d’accompagnement personnalisé et d’EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). Les diagrammes du bas du tableau indiquent 3h ou 4h d’enseignement personnalisé et d’EPI par semaine, mais ils ne précisent pas où ces heures sont réparties puisque la partie rouge des diagrammes, de 23h ou 22h, ne correspond pas à la somme des horaires du tableau.
Si on fait un petit calcul en comparant le volume horaire des enseignements disciplinaires, donc des enseignements fondamentaux (excluant l’accompagnement personnalisé et les enseignements interdisciplinaires) actuels et ceux prévus en 2016, on découvre le pot aux roses.
Volumes horaires par semaine (enseignements disciplinaires + autres) :
(AP : accompagnement personnalisé, IDD : itinéraires de découverte, ancêtre des EPI, EPI : enseignements pratiques interdisciplinaires) (Source pour les volumes horaires actuels : http://www.onisep.fr/Choisir-mes-etudes/Au-college/Classes-du-college/)
En perte sèche horaire des enseignements disciplinaires, nous avons donc :
– 2 heures perdues en 6e
– 1 heure perdue en 5e
– 4 heures perdues en 4e
– 6 heures et demie perdues en 3e
Et ceci chaque semaine. Il y a 36 semaines dans une année scolaire, ce qui nous donne :
– 72 heures perdues dans l’année de 6e
– 36 heures perdues dans l’année de 5e
– 144 heures perdues dans l’année de 4e
– et un record absolu de 234 heures perdues dans l’année de 3e !
Sans compter le flou sur la définition des matières, qui laisse place à un empiétement généralisé sur les enseignements fondamentaux. L’exemple le plus flagrant est celui des heures de mathématiques, sur lesquelles on ajoute de manière totalement aberrante un apprentissage de la programmation informatique : « [L’élève] utilisera régulièrement l’informatique. Il connaîtra les principes de base du codage. Il connaîtra les langages simples de programmation informatique. » (Source : http://www.education.gouv.fr/cid86831/college-mieux-apprendre-pour-mieux-reussir.html).
2. La tartufferie des EPI : l’aggravation des IDD et le mirage de l’interdisciplinarité
Les partisans de la réforme nous répondront certainement : les heures d’enseignements disciplinaires ne sont pas perdues, elles sont transformées. Ce qui déjà sur le papier est faux, puisque même en additionnant les EPI et AP aux enseignements disciplinaires, on n’atteint pas le montant de la somme des enseignements disciplinaires actuels additionnés aux IDD pour la 6e, la 4e et la 3e. Mais l’argument avancé est autrement plus fallacieux.
Le raisonnement du gouvernement consiste à dire que les EPI sont des heures de travail équivalentes aux heures de cours classiques. Ils remplacent les Itinéraires de découverte (IDD) instaurés en 2001 par Jack Lang et augmentent même en volume horaire par rapport à ceux-ci. Les IDD sont définis comme un temps d’enseignement obligatoire mettant en place une démarche interdisciplinaire à partir d’un thème qui recoupe deux matières. Les IDD sont assurés par des professeurs des deux matières concernées (ce qui a eu comme conséquence immédiate de compliquer la composition des emplois du temps). Les EPI prolongent les IDD en accentuant encore davantage le caractère interdisciplinaire de ces temps d’études. Ils héritent de toute une philosophie pédagogique développée aux Etats-Unis au milieu du XXe siècle sous l’influence de John Dewey, chef de file de l’Education Nouvelle : la structure du cours magistral étant considérée comme trop autoritaire et trop inhibitrice pour la créativité naturelle de l’élève, les activités interdisciplinaires devaient permettre de donner à l’élève tous les moyens de son émancipation par rapport à un cadre scolaire trop coercitif. Résultat : aux Etats-Unis, les activités scolaires non disciplinaires ont dépassé en nombre d’heures les enseignements magistraux, et les tests de niveaux ont indiqué une fragilité de plus en plus grande des élèves sur les savoirs fondamentaux. Le mouvement « back to basics » des années 80 fut une volonté résolue d’inverser la tendance en revenant à des enseignements classiques.
Par l’augmentation du volume horaire des enseignements non disciplinaires, le gouvernement va donc accentuer les difficultés des élèves ayant déjà de graves lacunes en français, en mathématiques et en histoire-géographie.
3. La suppression en douce du latin et des classes européennes
La réforme de Mme Vallaud-Belkacem implique donc une réduction du volume horaire des enseignements disciplinaires au profit d’une interdisciplinarité toujours plus idéalisée, mais toujours plus abstraite dans son fonctionnement. Pourtant, comme nous le disions en introduction, c’est une autre mesure qui a fait exploser la polémique : la suppression du latin comme option facultative. Il semble que le gouvernement soit revenu sur sa position initiale, peut-être aussi pour dissimuler les dégâts qu’il faisait à côté et que personne ne dénonçait. Mais à bien y regarder, la survie du latin au collège peut tout de même s’apparenter à une suppression en douce.
Dans la première version du projet, le latin était supprimé purement et simplement, pour être intégré à l’EPI « Langues et cultures de l’Antiquité ». Mme Vallaud-Belkacem a accepté de rétablir le latin comme option, mais en en diminuant les horaires : 1h en 5e au lieu de 2h actuellement, et 2h en 4e et 3e au lieu de 3h actuellement. En outre, il n’est pas prévu que le latin ait un financement spécifique, autrement dit les collèges devront prendre des heures sur leur marge d’autonomie s’ils souhaitent le maintenir. Dans les faits, l’enseignement du latin sera bien souvent trop compliqué à maintenir, et beaucoup d’établissements tireront un trait sur cette option.
Autre disparition dissimulée : celle des classes européennes. Les promoteurs de la réforme ont trouvé dans l’introduction d’une LV2 dès la 5e leur argument principal, à coups d’ « ouverture au monde » et d’ « enrichissement personnel ». Mais, outre le caractère très discutable de l’apport d’une LV2 dès la 5e, cette mesure cache en réalité une diminution des heures d’enseignement de langues étrangères pour les élèves qui souhaitaient se spécialiser dans leur apprentissage. En effet, les sections bilangues et les sections européennes, considérées comme trop élitistes, seront supprimées. Le principe méritocratique de récompense de l’effort, quel que soit l’origine sociale de l’élève, passe donc encore une fois à la trappe.
4. Quid de la sécurité au collège ?
Nous finirons cette analyse succincte des conséquences de la réforme du collège par un point secondaire, mais non négligeable, du texte proposé. Le ministère se propose « d’améliorer le climat scolaire » pour diminuer les actes violents à l’école et permettre aux élèves d’étudier sereinement.
Déjà en 2010, le gouvernement Fillon avait mis en place des « Etats généraux de la violence scolaire » qui avaient accouché d’une simple circulaire sur les sanctions sans aucune efficacité. Le gouvernement Valls va encore plus loin dans le déni du réel en pensant qu’un guide national « Agir sur le climat scolaire au collège » et un site Web national collaboratif www.reseau-canope.fr/climatscolaire pourront suffire à endiguer le phénomène aujourd’hui prégnant de la violence à l’école. Après stop-djihadisme.gouv.fr, l’outil le plus ridicule que l’on ait pu imaginer pour lutter contre la radicalisation religieuse, on invente une sorte de stop-violence.gouv.fr, dans l’idée que les déclarations incantatoires pourront faire diminuer la pression. La sécurité des professeurs, elle, est tout bonnement absente de la réforme, puisqu’il semble être acquis aux équipes gouvernementales que ce sont les formes « réactionnaires » d’enseignement qui sont à l’origine des frustrations des élèves et de leurs comportements.