Le « collège de demain » ou la sénilité du pédagogisme

Le « collège de demain » ou la sénilité du pédagogisme

Le « collège de demain », ou la sénilité du pédagogisme

par Cédric Lesieur

Le lancement de la réforme du collège a suscité des réactions vigoureuses et légitimes, largement au-delà du camp « patriote ». Des intellectuels et politiques de tout bord se sont élevés contre ses composantes les plus symptomatiques, comme les menaces qui pèsent sur les langues anciennes, l’allemand ou les sections européennes.

Il y a pourtant quelque chose de cocasse à voir ceux-là mêmes qui soutiennent l’esprit de cette réforme en déplorer l’application logique et cohérente. Car logique et cohérente, cette réforme l’est assurément : loin d’être une révolution, elle n’est qu’un approfondissement de la logique pédagogiste à l’oeuvre depuis maintenant des décennies.

« Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles chérissent les causes » (Bossuet).

L’exacerbation du pédagogisme se lit tout d’abord dans le vocabulaire mobilisé dans les communications officielles présentant le « nouveau » collège ( http://www.education.gouv.fr/cid86831/college-mieux-apprendre-pour-mieux-reussir.html ) : on y retrouve un à un les lieux communs, poncifs et clichés qui, jamais étayés ou clairement explicités, alimentent l’esprit ambiant. Par exemple, le vocabulaire associé au collège actuel (qui est pourtant largement modelé par les conceptions dites « nouvelles ») relève d’un véritable roman noir du collège à papa : Mme Vallaud-Belkacem ne fait pas dans la demi-mesure, qualifiant celui-ci de « monolithique », « inégalitaire », « ennuyeux », « inadapté », « démotivant » et « anxiogène ». Quant au « nouveau collège », il permettra l' »épanouissement » des élèves, dans un cadre « coopératif » de « confiance » respectant la « diversité » des besoins. Un coach en développement personnel n’aurait pas dit mieux.

Cette logorrhée lénifiante et anachronique prêterait à sourire si elle ne témoignait pas de contradictions profondes aux conséquences funestes. Il est en effet difficile de contester que le collège soit aujourd’hui inefficace et inadapté. Mais le sombre portrait dressé par Mme Vallaud-Belkacem n’est-il pas celui du collège unique que ne renie aucun des pédagogistes ? Un collège qui ne distingue pas les élèves jusqu’à quinze ans est effectivement « monolithique » et « inadapté » à la diversité des situations ; il s’avère ainsi « ennuyeux » et « démotivant » pour les plus doués, et « anxyogène » pour ceux qui, de bonne volonté, rencontrent plus de difficultés. Au final, ce collège est donc « inégalitaire », car seuls y surnagent ceux qui disposent au préalable d’un « capital culturel » suffisant au sein du cadre familial.

La réforme du collège, une fuite en avant

Or, loin de rattacher les difficultés réelles à leur genèse, la ministre répond par la stratégie pavlovienne des progressistes : la fuite en avant. Si échec il y a, en somme, c’est parce qu’on n’est pas allé assez loin. Tout résidu de tradition doit être méthodiquement éradiqué pour que puisse émerger le « collège de demain ». Ce plan se décline en trois axes majeurs :

1/ Il faut détruire les derniers bastions dans lesquels se loge l’excellence. Les classes européennes, germanistes ou latinistes sont la butte-témoin de la méritocratie républicaine, élitaire et exigeante ; en cela, elles sont stigmatisantes et leur élimination s’impose. Leur plus grand tort était de fonctionner et d’illustrer en cela la faillite du collège unique et « monolithique » qui refuse de sélectionner.

2/ Au-delà de ces bastions localisés et délimités, c’est toute une conception de la culture à qui il faut porter le coup de grâce. Le triomphe du tout culturel est ainsi la véritable matrice du nouveau collège, d’essence relativiste et individualiste. Un monde sans transcendance ni verticalité ne peut s’accomoder d’une culture classique supposant une initiation, ni accorder une valeur en soi au savoir.

3/ C’est à ce titre que sont encensées les valeurs d’autonomie radicale, de soi-disant créativité spontanée de l’apprenant. L’interdisciplinarité est censée favoriser l’épanouissement individuel, au-delà du « cloisonnement » disciplinaire dont on a décrété sans ménagement qu’il était rétrograde, artificiel et dépassé. Cette attaque contre la structuration en disciplines ne peut se comprendre que dans la mesure où celles-ci se définissent par rapport à un contenu, alors qu’une approche interdisciplinaire est censée reposer sur des compétences. Le savoir, décentré voire nié en tant que tel, entraîne fatalement dans sa chute celui qui le porte – le professeur – et le principe de sa transmission – l’autorité.

Le disque est rayé (depuis longtemps)

Le tableau dressé a de quoi faire frémir tous ceux pour qui les principes attaqués ont encore un sens. Il n’y a pourtant pas lieu de alarmer particulièrement : si catastrophe il y a, elle est derrière nous. Le nouveau collège est une vieille dame sur le retour. Rappelons que le collège unique a quarante ans, que l’obligation scolaire poussée à seize ans date de 1959, ou encore que depuis longtemps déjà le contenu disciplinaire est passé à l’arrière-plan, entraînant le niveau culturel des élèves toujours plus bas.

En outre, derrière toutes les « nouveautés » proposées se cache le cadavre d’une réforme tombée aux oubliettes. La résurrection des inénarrables IDD s’apparente à une opération de nécromancie dont on voit mal pourquoi elle réussirait aujourd’hui. La seule vraie nouveauté consiste en l’augmentation des doses : parallèlement à la suppression de ce qui fonctionne (les classes euros), on renforce ce qui n’a pas fonctionné. La logique est imparable.

Le baroud d’honneur du pédagogisme ?

C’est paradoxalement sur une note d’optimisme que nous souhaitons conclure. En effet, ce n’est pas un « nouveau collège » que nous semble révéler la réforme, mais bien la sénilité du pédagogisme. Confronté à ses contradictions et ses inconséquences, celui-ci s’enferme dans une fuite en avant autiste et radote de vieilles lunes de plus en plus déconnectées de la réalité.

Ainsi, dans le pire des cas, le « nouveau collège » ne changera absolument rien. On voit mal comment des logiques aussi artificielles que l’interdisciplinarité pourraient se concrétiser, tant leur mise en oeuvre paraît difficile à tout point de vue.

Dans le meilleur des cas, enfin, si le ministère cherche à appliquer de façon tatillonne les points les plus problématiques et s’il ne lâche pas de lest pour les filières d’excellence, le nouveau collège pourraît bien être un tel fiasco que son rejet poserait les bases d’une critique radicale et d’un retour aux fondamentaux.

Ce « nouveau collège » qui n’en est pas un pourrait donc avoir le mérite immense de porter en lui-même le principe de sa destruction, révélant les apories d’un projet pédagogiste qui ne sait réagir à son impuissance que par une surenchère perpétuelle.

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