Physique-chimie : histoire d’un fiasco annoncé
par Jean-Bernard Formé
professeur agrégé de physique-chimie
secrétaire départemental Collectif Racine-Var
L’épreuve de physique chimie du Bac S, et sa correction suscite aujourd’hui bien des réactions. De la colère, aussi, et un vrai sentiment de mépris vis a vis d’enseignants pourtant habitués à la résignation et à la docilité.
Mais ce scandale est la conséquence de plusieurs facteurs, listés depuis de nombreuses années et sur lesquels il convient de revenir.
De quoi parle-t-on aujourd’hui? Sans évoquer ici l’épreuve d’évaluation des compétences expérimentales sur laquelle il y aurait pourtant tant à dire, l’épreuve écrite, consiste à résoudre trois problèmes, avec des questions dites «ouvertes». Jugée cette année difficile par de nombreux candidats, elle a «nécessité» une révision drastique du barème pour «limiter» la casse.
Sitôt les premiers résultats remontés, le ministère a en effet demandé aux correcteurs de reprendre leurs copies en utilisant un barème ultra light, les résultats obtenus ayant été jugés politiquement indéfendables!
Il semble, que malgré ce bricolage, les notes ne donnent encore pas satisfaction à nos décideurs. On se dirige, semble t il, vers des directives encore plus laxistes qui amèneront, sans doute, à ajouter 2, 3 ou 4 points par copie au regard «du temps consacré à l’épreuve»…
Mais comment en est on arrivé là?
Les sciences physiques, parent pauvre des disciplines d’enseignement général, pâtissent d’une image austère de la part de dirigeants, pour l’essentiel, de formation littéraire, qui n’ont pas pris conscience des enjeux considérables, en terme de formation, dont elles sont pourtant le vecteur.
Inutile en effet, d’inventer, sous prétexte de valoriser l’interdisciplinarité, des TPE, des IDD, ou autres EPI, puisque ces disciplines théoriques et expérimentales nécessitent, par essence, une bonne maitrise de la langue mais aussi des outils mathématiques et informatiques. L’évolution des idées et des notions, replacées dans leurs époques, sont prétexte à une étude historique. Les problèmes environnementaux et ceux inhérents à la formation du citoyen sont aussi abordables. Ils le sont d’ailleurs, de fait, par des enseignants sensibilisés aux problèmes. Bref, des décideurs un peu plus avisés, auraient vu dans «cette» discipline moyen de donner du sens à l’apprentissage d’autres, au lieu de créer de nouvelles usines à gaz, peu efficaces et souvent très consommatrices d’énergie et de temps.
Avec la réforme des lycées, le programme s’est flouté tant sur le fond que sur la forme. Pour brouiller d’avantage encore les cartes, la forme prise par l’épreuve du bac peut changer d’une session à une autre de façon radicale.
J’ai eu l’occasion d’interroger, l’hiver dernier, l’IA-IPR de sciences physiques de l’académie de Nice, sur la nécessité de «cobayer» les sujets en amont pour ne pas avoir à recourir à des substituts en aval. Avec une certaine arrogance et sans avoir réellement pris conscience que toutes nos remarques visent à améliorer l’équité pour tous les candidats et à éviter toute forme de stress inutile, lié à la simple manière de communiquer entre l’évaluateur et l’évalué.
«Vous savez bien qu’on s’arrange toujours en cas de problème» m’avait il répondu. Alors, arrangeons nous cette fois encore monsieur l’Inspecteur. Un arrangement «entre amis» pensait il sans doute, mais de moins en moins d’amis ont envie de jouer la mascarade.
Car quid de notre crédibilité d’enseignants d’une discipline qui demande rigueur, efforts, et un brin d’honnêteté intellectuelle pour être appréciée à sa juste valeur ? Si j’avais cette année, enseigné à mes élèves le programme qui fut en vigueur jusqu’en 2012, ils auraient été mieux armés qu’avec l’ersatz de programme que nous leur dispensons depuis !
Les élèves ne mettront pas longtemps pour comprendre que tout investissement régulier est inutile pour obtenir une bonne note à l’examen. Et si l’objectif de la classe de terminale est double, celui de la poursuite d’études scientifiques sera entaché d’une erreur évidente d’appréciation. L’étude de la physique ne se fait ni sans outil, ni sans effort…
S’il en est encore besoin, je vous soumets quelques autres preuves du dédain des politiques pour notre discipline.
Les sciences physiques, étudiées en primaire, ne le sont pas en 6ème alors qu’elles le sont de nouveau en 5ème !
Jamais personnes, dans le corps des inspecteurs, y compris généraux, en 20 années d’interrogation, n’a été capable de me répondre lorsque je cherchais une explication rationnelle à ce fait avéré.
Le volume horaire consacré à cette discipline est passé très en dessous d’une valeur critique. Il faut rappeler que, par exemple, les élèves de première S reçoivent UNE heure de cours par semaine et deux heures de travaux pratiques. Des TP devenus des séances de pratiques en tout genre, recourent de moins en moins souvent à l’expérience. Plus rien n’est du reste exigible dans ces programmes de première. Les compétences sont désormais «attendues»… sans que personne ne précise combien de temps il faut vraiment attendre!
Sans évoquer les notions abordées, sur lesquelles il y aurait aussi beaucoup à dire, c’est plus la forme qui surprend. Les élèves deviennent des spécialistes de la recherche documentaire. Les écrans sont omniprésents. Le temps pour la maitrise des notions, complètement epsilonesque. Ils ne manipulent plus, ou si peu, un matériel dont sont pourtant bien équipés l’ensemble des établissements de France. Non, comme nos dirigeants, ils simulent, s’éloignant, année après année des réalités d’un monde physique qui lui, chauffe, rougit, précipite, explose, s’éclaire ou s’éteint au gré de phénomènes répertoriés ou non, mais des phénomènes qui se produisent ailleurs que sur un écran d’ordinateur parce qu’ils sont observables en VRAI !
Autre preuve de négligence coupable de nos décideurs à l’encontre de notre discipline, la transformation, d’un coup de baguette magique, de professeurs de physique appliquée en professeurs de physique-chimie.
Dans les années 80, devant la difficulté éprouvée par les enseignants de physique-chimie pour enseigner l’électronique et l’électrotechnique dans les filières F, un CAPES et une agrégation dites de «physique appliquée» ont vu le jour. Comme souvent dans l’éducation nationale qui a la fâcheuse habitude de fonctionner en tout ou rien, des milliers d’enseignants «d’électricité» ont été recrutés par ce biais. Ils avaient vocation à enseigner dans ces sections F de l’époque devenues STI (science et technologie industrielle) et en BTS. Pendant de très nombreuses années, nombre de ces collègues sont d’ailleurs restés sans élève, devenant TZR (Titulaires sur Zone de Remplacement) sur des zones qui ne nécessitaient pas que l’on recoure à leurs services. Ils restaient donc chez eux (ou non !) à attendre qu’un poste se libère pour enfin «mériter» leur salaire !
Pendant ce temps, bien que le bocal fût déjà plein, on continuait de recruter. Certain rapports de la cour des compte ont pointé cet état de fait et il faudra attendre 2004 pour voir disparaitre ce recrutement.
Après une vingtaine d’années de tergiversations sur l’évolution des filières STI, en 2010 ces dernières se sont «transformées» en filières STI2D. Les deux D pour « développement durable », ont conduit à une refonte des programmes telle, que la physique appliquée a disparu des programmes devenant, pour ces filières aussi, de la physique-chimie…au grand dam des collègues «électriciens». Qu’allaient-ils devenir ?
Le ministère, dans une grande naïveté coupable, a tranché. D’un coup de baguette qu’il pensait là encore magique, le professeur de physique appliquée pouvait choisir un nouveau champ disciplinaire. Très peu ont choisi d’enseigner les mathématiques. L’immense majorité a «muté» en devenant professeurs de physique et de chimie.
Si leurs connaissances en physique (mécanique, optique, thermodynamique, nucléaire,…) nécessitaient, pour le moins, un réel dépoussiérage, ils étaient parfaitement incompétents en chimie, ne l’ayant jamais étudiée !
Certaines académies ont ainsi mis en place une «formation». En une dizaine d’heures passées devant des tubes à essai et autres fioles jaugées, l’institution transformait de parfaits ignorants en savants suffisamment performants, sans qu’aucun examen ou concours n’en atteste, pour pouvoir enseigner la chimie, y compris en terminale S.
La chimie, est une discipline ô combien expérimentale. Elle demande un peu plus de recul théorique et pratique, ne serait-ce pour des questions de sécurité, que le maigre bagage mis à la disposition de collègues qui n’avaient pas été recrutés pour une telle besogne ! C’est ainsi que les élèves de première S et de terminale S observent, parfois inquiets, mais plus souvent circonspects, des enseignants, certes, majoritairement plein de bonne volonté, mais parfaitement incompétents pour répondre à toute question qui ne figurerait pas sur le joli document «copié-collé» mis à leur disposition sur des sites académiques.
Les programmes, les méthodes pédagogiques, l’accompagnement, la formation et l’évaluation des enseignants de sciences physiques, la nécessité de recruter des IPR qui ne soient plus des faire valoir, payés pour faire avaler des couleuvres de plus en plus grosses,… les raisons ne manquent pas pour expliquer ce fiasco pourtant annoncé.
La méthode utilisée par les ministères qui se sont succédé aux affaires ne change pas. Qu’ils soient de gauche ou de droite, ils ont pris l’habitude, pour ne froisser personne, et encore moins les syndicats, de soulever le tapis et d’y glisser chaque année les miettes même si certaines ont la taille d’une baguette. Ils tapotent ensuite du pied, début juillet, pour éviter que le bourrelet ne se voit…et on embraye sur la rentrée suivante.
Oui mais les miettes se sont accumulées et on pourrait faire venir un troupeau d’éléphants pour écraser le bourrelet, le tapis ne retrouvera plus jamais l’horizontale, n’en déplaisent à tous ces prestidigitateurs…