Allocution de Daniel Philippot,
responsable du CR59
Lille, 17 octobre 2015
Mesdames et Messieurs, bonjour.
Alain Avello vient de vous le dire : j’ai décidé de prendre la responsabilité de la section Nord du collectif Racine.
Au moment de prendre ma retraite, après avoir dirigé 35 ans un établissement scolaire, j’ai souhaité mettre à profit mon expérience.
Je pense avoir une certaine expertise du système éducatif.
Mais pourquoi avoir rejoint le collectif Racine ?
D’abord, parce que j’ai toujours été passionné par les questions d’éducation.
Ensuite parce que j’y retrouve mes idées, bien évidemment.
Enfin parce qu’il m’a semblé qu’il était le seul véritable espace de réflexion et de propositions pour une école plus juste, une école plus efficace dans ses apprentissages, une école dans laquelle les enseignants se sentent épanouis, respectés et reconnus. On apprend, par ailleurs, ces jours-ci, que l’école n’a jamais été aussi inégalitaire.
Durant ma carrière, j’ai connu 23 ministres de l’Education nationale. Pourtant, je n’ai pas débuté ma carrière au 19ème siècle… Mais chacun sait que les ministres de l’Education ne font souvent qu’un passage éclair rue de Grenelle…
Chacun d’entre eux veut y laisser sa marque, son empreinte…
Ce qui explique qu’à la valse des ministres de l’Education correspond la valse des réformes. Le successeur s’évertue souvent à défaire ce que son prédécesseur a fait. Ainsi fonctionne ce ministère depuis des lustres…
C’est vous dire que j’en ai connu des réformes ! Certaines insensées, d’autres farfelues. Toutes souvent éphémères…
Je lisais récemment un article sur » le mystère français de l’échec répété de toutes les réformes de l’Éducation Nationale depuis plus de trente ans « …
Les études internationales nous disent que « près de 20% des élèves de 3ème, contre 15% il y a 6 ans, sont aujourd’hui incapables de résoudre un problème de maths de CM2«
Tous les indicateurs sont au rouge. Dans les fameuses enquêtes PISA, la France est passée entre 2000 et 2009,
pour la compréhension de l’écrit, du 10e rang sur 27 pays au 17e sur 33.
Les enquêtes nationales vont dans le même sens.
Une synthèse des évaluations publiée par le ministère nous apprend que le niveau de lecture en CM2 a nettement baissé entre 1997 et 2007.
Le niveau qui était celui des 10 % les plus faibles est, dix ans plus tard, celui de 21 % des élèves.
La baisse se constate quelles que soient les compétences.
Un élève sur trois est faible en orthographe, contre un sur quatre dix ans plus tôt.
A la même dictée, 46 % des élèves faisaient plus de 15 fautes contre 21 % dix ans plus tôt.
L’évolution en calcul est également négative.
Le recul n’épargne que les enfants des cadres supérieurs et des professions intellectuelles, dont les enseignants.
Dès lors, comment s’étonner de voir des élèves entrer en 6ème sans être capables de la suivre ? Nous avons organisé l’échec.
« La réduction du temps de travail des élèves est un formidable gâchis« , nous dit Antoine Prost, historien de l’éducation.
Selon lui, le problème est double : quantitatif et qualitatif.
Nous sommes passés d’abord, entre la guerre et les années 60, de 40 semaines de classe à 36.
Nous sommes ensuite passés de 30 heures par semaine à 27 en 1969, par libération du samedi après-midi, puis à 26 et, depuis 2008, à 24.
Nous sommes à 140 jours de classe par an, contre 175 en 1968, et à 840 heures dans l’année, contre 1 050. C’est un cinquième de moins.
Les élèves ne passent pas plus de temps en classe aujourd’hui en 5 années d’école primaire qu’ils n’en passaient en 4 ans
il y a une génération. C’est comme si l’on avait obligé tous les élèves à sauter une classe.
Nos voisins européens n’ont pas beaucoup plus d’heures de classe, mais ils les répartissent sur 180 à 200 jours.
Les capacités d’attention des enfants de 6-8 ans sont de l’ordre de 3,30 heures à 4 heures dans une journée. Elles augmentent avec l’âge, et se situent autour de 5 heures par jour à 12 ans.
De plus, nous ne cessons de vouloir qu’ils apprennent davantage. Nous avons introduit à l’école une langue vivante, mais aussi l’histoire de l’art, la sécurité routière, la sauvegarde de l’environnement, l’aide aux premiers secours, l’informatique… etc.
Soyons sérieux : nous prétendons vouloir que nos enfants apprennent plus et mieux, et nous avons fait jusqu’ici tout ce qu’il fallait pour qu’ils apprennent moins, et moins bien.
Il est urgent de réfléchir aux moyens d’enrayer cette régression.
Concernant la réforme des rythmes scolaires, le débat s’est focalisé pendant deux ans sur les activités périscolaires…
A aucun moment n’a été discutée l’utilité de cette matinée de travail supplémentaire, du temps d’apprentissage mieux réparti sur la semaine.
Personne ne s’interroge sur l’intérêt pédagogique des organisations proposées et ne pose les questions essentielles :
Quel impact avéré sur les rythmes biologiques des enfants ? Quels bénéfices sur leurs apprentissages ? Notamment dans les villes qui consacrent le vendredi après-midi aux ateliers périscolaires…
Au fil des ans, et au vu des résultats catastrophiques, le bon sens a quand même, parfois, prévalu.
Ainsi, dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, nous revenons, peu à peu, enfin, à la méthode syllabique.
Il est d’ailleurs amusant de voir que notre hiérarchie qui a ardemment combattu cette méthode pendant des années, la défend aujourd’hui avec les mêmes convictions…
Que penser des convictions de ces pédagogos…?
Les résultats seraient sans doute encore plus catastrophiques si nombre de maîtresses de CP n’avaient continué,
en cachette, la lecture à haute voix et les dictées de syllabes.
Je pourrais multiplier les exemples de réformes irréfléchies, aussi stupides qu’incohérentes : les maths modernes, la grammaire fonctionnelle, l’observation réfléchie de la langue… J’en passe et des meilleures.
Quant à la mise en place des cycles… mieux vaut en rire…
La grande section maternelle d’abord au cycle 1, ensuite attachée au cycle 2 pour une meilleure liaison avec le CP puis remise au cycle 1 récemment…
Le CE2 qui passe du cycle 3 au cycle 2…
La 6ème qui rejoint les CM1 et CM2 en cycle 3…
Bref ! de quoi en perdre son latin… Probablement ce qui est arrivé à Najat Vallaud-Belkacem…
Enfin, cerise sur le gâteau, tout dernièrement, les résultats de l’évaluation des élèves, notés ou pas, de 1 à 10 ou de 1 à 4, ou avec des smileys, ou des pastilles de couleur… C’est comme on veut.
L’essentiel étant, comme ils disent, de ne pas traumatiser les enfants.
Il me faudrait aussi aborder le problème de la formation professionnelle, initiale et continue… Un vrai délire !
J’aurais également envie d’évoquer l’absolue et urgente reconnaissance statutaire de l’école primaire et des directeurs d’école, les milliers de postes de direction non pourvus chaque année.
Mais le temps me manque…
Après tout ce que je vous ai dit, comment ne pas comprendre la résignation et la démotivation des enseignants qui se lassent de toutes ces réformes qu’on leur impose ?
Voilà où nous ont conduits les 23 ministres qui ont jalonné ma carrière !
Je n’ai abordé ici que des sujets traitant de l’école primaire mais je suis entouré de collègues professeurs de collège, lycée et université qui, comme moi, ont à cœur d’apporter leur contribution au débat.
Toutes nos réflexions issues de notre expérience sur le terrain feront l’objet de publications thématiques au sein des différents groupes de travail du collectif Racine.
Pour conclure, il me reste à remercier Alain Avello et ses collaborateurs. Grâce à eux, le collectif Racine a pris un réel essor et s’est créé une vraie réputation de sérieux. Il est devenu une force crédible de propositions.
De nouvelles sections voient régulièrement le jour, comme la nôtre aujourd’hui. Je suis convaincu que de plus en plus d’enseignants nous rejoindront pour faire entendre la voix du redressement.
Enfin, je tiens également à remercier tout particulièrement Marine Le Pen pour son écoute du monde enseignant et l’encouragement précieux qui est le sien pour le développement du collectif Racine.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre attention.