LES EFFETS DE L’UE SUR LE SERVICE PUBLIC
D’ENSEIGNEMENT SCOLAIRE ET UNIVERSITAIRE
Conférence d’Alain Avello,
président de Racine
Conférence ELDD – Paris, 1er mai 2018
Madame, Monsieur,
Chers amis,
Je me félicite que ce 1er mai soit l’occasion, sous l’égide d’Europe de la Liberté et de la Démocratie directe, notre groupe au Parlement européen, de vous entretenir des effets de l’Union Européenne sur le Service public d’enseignement scolaire et universitaire.
Le 1er mai est hautement emblématique des luttes sociales, de ces luttes pour plus d’égalité et de bien-être social, lesquels ont trouvé dans la constitution des Services publics leur meilleur et plus efficace vecteur — et c’est là un élément majeur et constitutif de l’histoire de la République.
Or, l’Union Européenne à laquelle nos gouvernements successifs se soumettent toujours davantage, se révèle, par le biais des injonctions qu’elle leur adresse et auxquelles servilement donc ils obéissent, une machine infernale procédant à la destruction systématique de nos Services publics.
Lors même que la mission des Services publics est par nature de servir l’intérêt général, lequel se confond avec l’intérêt national, l’Union Européenne les détourne de cette mission : elle favorise l’immixtion plus ou moins insidieuse d’intérêts privés, par des délégations de services, des externalisations ou des scissions ; elle organise ce faisant une logique de rentabilité, ayant pour conséquence à peu près inéluctable l’effondrement du niveau de service rendu ; elle provoque des ruptures d’égalité, territoriale notamment et donc aussi et inéluctablement sociale — toutes choses contrevenant gravement aux principes du Service public, tels que thématisés par des textes pourtant fondateurs de la République : le principe d’égalité des usagers étant par exemple le corollaire de celui d’égalité du citoyen devant la loi.
1. Introduction : pour une indépendance des politiques scolaires et universitaires
Je vais donc m’employer à décrire les effets destructeurs, pour ne pas dire dévastateurs de l’Union Européenne sur notre Service public d’enseignement scolaire et universitaire, l’objet principal visé par mon propos étant de démontrer que pour l’Ecole et l’Université, le problème est aussi d’indépendance nationale : il est impératif de recouvrer les différents pans de notre indépendance : indépendance monétaire, économique, législative, territoriale, etc., mais il importe d’accéder à une certitude égale concernant la nécessité de recouvrer la pleine indépendance de nos politiques scolaires et universitaires.
Car ce sont des recommandations et des directives de l’Union Européenne, telles que définies inauguralement à Lisbonne au tout début des années 2000, constamment réaffirmées depuis, à la fois par le Conseil européen et la Commission européenne, qui inspirent, orientent et déterminent les politiques scolaire et universitaires « nationales » — terme que j’encadre, on le comprendra, des guillemets les plus circonspects —, en d’autres termes ces directives commandent l’ensemble des réformes servilement mises en œuvre par les ministres qui se sont succédés.
2. L’« économie de la connaissance »
Ce qu’a décidé en mars 2000, à Lisbonne, le Conseil européen c’est de faire de l’Union Européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».
Afin que cette « Stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi », plan stratégique décennal, parvienne à l’efficience maximale de sorte à atteindre les objectifs définis, ceux-ci se sont sans cesse trouvé réaffirmés — à Göteborg en 2001, par le rapport parlementaire français Garrigue, en 2003, et à l’occasion de chaque « point d’étape » —, des voix, européennes mais tout autant françaises donc, s’élevant régulièrement pour rappeler ces objectifs et appeler à ce que s’accélère la « mise en conformité » des systèmes d’enseignement nationaux, cette constance conduisant pour la décennie 2010 à un nouveau plan stratégique décennal, intitulée « Stratégie Europe 2020 » qui est venu prendre le relai, en réaffirmant les mêmes objectifs.
Mais il importe de précisément déterminer ce que les élites européistes entendent, lorsqu’elles assignent aux systèmes scolaire et universitaires des pays de l’Union l’objectif de construire « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».
D’abord, ce sont les Etats-Unis qui ont manifestement servi de référence. Certes l’idée est de rendre « l’économie de la connaissance » européenne « plus compétitive », donc, que la leur ; mais ce qui se trouve érigé en modèle, ce sont bien les standards étatsuniens, ce qui, en soi, est à la fois très révélateur et très discutable.
Jean-Pierre Chevènement démontrait en 2006, dans un éclairant opuscule intitulé La Faute de M. Monnet les allégeances et la subordination des modèles auxquelles, dès les pères fondateurs, l’Europe a consenti à l’égard des Etats-Unis d’Amérique.
En effet, l’idée selon laquelle la connaissance constituerait un marché comme un autre, et que l’enseignement devrait pleinement se subordonner aux exigences du marché du travailnous déroute et nous heurte culturellement ; quant aux eurocrates, ils signifiaient par l’affirmation d’une telle idée et l’assignation de tels objectifs leurs allégeances, si contraires pourtant à notre culture nourrie d’humanisme.
J’ajouterai d’ailleurs que les fameux classements internationaux, comme PISA, qui évaluent les performances des systèmes scolaires et des universités sont tout autant discutables, et pour les mêmes raisons : quand bien même objectivent-ils certains symptômes — ceux d’un déclin malheureusement indiscutable de notre système d’enseignement —, leurs critères et leurs méthodes relèvent en effet de la même perspective.
Bien que pourtant très profondément étrangères à notre culture et à notre conception du savoir, ces perspectives mercantiles orientant la transmission des connaissances et les transformant, on va le voir, jusque dans leurs contenus, ont déjà largement commencé, sous l’impulsion des directives européennes, à modifier en profondeur les missions assignées à l’Ecole et à l’Université : la finalité de l’enseignement doit, dans cette perspective, se détourner de l’ambition d’élever dans le savoir, de nourrir l’esprit critique et de permettre la promotion sociale ; l’enseignement ne doit être au contraire qu’un moyen en vue de l’ « employabilité » des individus sur le marché euromondialisé du travail, employabilité de surcroît conçue sous l’angle de la nécessaire flexibilité de l’emploi, laquelle loin de requérir, pour l’immense majorité des salariés, un haut niveau de formation, s’accommode d’une qualification initiale des plus minimales.
Ainsi toutes les régressions en termes de savoirs effectivement enseignés et transmis devenaient-elles possibles…
Prenons bien la mesure en effet de ce qu’il n’y a nul besoin, dans la perspective de l’« économie de la connaissance », que l’Ecole ou l’Université dispensent en direction de l’immense majorité des élèves et des étudiants de véritables enseignements, leur transmette une culture humaniste ou des savoirs permettant leur émancipation sociale.
Bien au contraire ! L’élève et l’étudiant qu’on conçoit et qu’on entreprend alors de fabriquer, sous l’impulsion d’institutions supranationales et sous l’influence non-négligeable de lobbies liés aux multinationales, est tout autre, comme l’expose de façon pénétrante Jean-Claude Michéa en un ouvrage qui paraissait au moment même où le processus s’enclenchait : si le Système doit bien veiller à former une minorité d’excellence, dans quelques établissements où les enfants de l’élite continuent d’être véritablement instruits dans l’autorité du savoir — ces établissements mêmes fréquentés notamment par les enfants des ministres — ; il n’a en revanche nul besoin de porter le même soin à ceux destinés à devenir des cadres d’exécution, formés pour des routines dépendant du contexte technologique et voués à être réadaptés selon les besoins du marché du travail, la fameuse « formation tout au long de la vie » pourvoyant à cette réadaptation ; quant à ceux appartenant à l’immense majorité de la population, voués à être inutiles économiquement, et dont on doit pourtant assurer la gouvernabilité, il est préférable de leur interdire l’accès au savoir : il convient donc de leur « enseigner l’ignorance » — tel est d’ailleurs le titre de l’ouvrage —, ce qui, on en conviendra, ne va pas tout à fait de soi, et suppose une réadaptation en profondeur du Système et de ceux qui ont pour fonction d’enseigner.
Je me propose donc de montrer que les réformes de l’enseignement scolaire comme de l’enseignement supérieur qui vont suivre ont très largement été inspirées, orientées et déterminées par les objectifs définis à Lisbonne.
Il est d’ailleurs toujours particulièrement instructif de prendre connaissance des rapports préludant aux réformes : le rapport Thélot (2004) qui préfigure la loi Fillon de 2005 assume sans ambigüité l’objectif d’« inscrire l’Ecole dans la construction européenne » (p. 21) pour qu’elle contribue à constituer « le marché du travail européen » en « facilitant la mobilité des travailleurs dans l’Union » (p.73).
C’est pourquoi dans le sillage, pour ainsi dire, de la « Stratégie de Lisbonne », la totalité des réformes vont-elles concourir à mettre en conformité notre Ecole et notre Université avec ces exigences : c’est tout aussi bien le cas de la loi Fillon de 2005 que de la réforme Châtel (2010), de la loi Peillon (2013), dans le cadre de laquelle advient la réforme Vallaud-Belkacem du collège, ou de la réforme du Baccalauréat, actuellement conduite par Jean-Michel Blanquer ; pour l’enseignement supérieur, c’est également le cas de la réforme LMD de 2002, puis de la loi LRU de 2007.
3. La logique de l’ « harmonisation européenne »
Cette réadaptation requise pour l’atteinte des objectifs définis à Lisbonne par les systèmes scolaires et universitaires des différents pays de l’Union passera par lerouleau compresseur de l’ « harmonisation européenne » agissant en premier lieu sur le périmètre (et donc le contenu) de ce qu’il s’agira d’enseigner, d’une part, et sur l’architecture des cursus (cycles, grades, diplômes), de l’autre.
Ainsi a-t-on assisté à la substitution des compétences (et de la logique des cycles) aux connaissances (et à la division par niveaux) : suite aux travaux de la Commission européenne sur les « compétences clefs » auxquelles l’enseignement doit permettre l’accès, celles-ci étant comprises comme « le minimum indispensable que tout citoyen européen (sic) doit posséder pour espérer s’insérer dans le monde du travail », c’est la loi Fillon de 2005 qui transpose cette perspective dans les textes encadrant l’enseignement français.
Pour mémoire, le « socle commun » tel que défini par l’Union Européenne repose sur sept compétences, la « culture humaniste » n’en étant qu’une parmi d’autres (5), au même titre que « la maîtrise de la langue française » (1), toutes deux figurant aux côtés, par exemple, des « principaux éléments de mathématiques » (3a), de la « maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication » (4), des « compétences sociales et civiques » (6) ou de l’ « autonomie et l’initiative » (7).
Le vocabulaire minimaliste (« principaux éléments », en est un exemple flagrant) constitue ici un symptôme. On verra plus loin que, par la résorption des savoir dans ces vagues et nébuleuses « compétences », c’est l’exigence même d’égalité, dont un Service public se doit d’être le garant, qui se trouve non seulement compromise, mais tout bonnement sacrifiée.
Dans la même perspective d’harmonisation européenne, mais pour ce qui concerne l’enseignement supérieur cette fois, c’est la réforme LMD (licence-master-doctorat), initiée en 2002, qui en déterminera les modalités : l’ « Espace européen de l’enseignement supérieur », dans lequel cette réforme a pour objectif de faire entrer pleinement l’université française, la conduira à définir les parcours de formations en « unités d’enseignement », chacune ayant une valeur déterminée en « crédits européens » reconnus grâce au système ECTS (European Credits Transfer System), à refonder l’architecture des grades universitaires pour garantir des équivalences avec les autres pays de l ‘Union, et à semestrialiser l’année universitaire, laquelle perd de ce fait l’essentiel de son unité.
La réforme LMD est très profondément critiquable dans le sens où elle fait fi des principes qui devraient structurer le Service public d’enseignement supérieur : d’abord, le démembrement de l’année en deux semestres crée un « temps-court » universitaire peu compatible avec certains enseignements, celui des « humanités » notamment, et cela inévitablement au détriment des étudiants issus des catégories sociales les moins favorisées culturellement ; ensuite, les exigences en termes d’apprentissages effectifs sont mécaniquement revues à la baisse, certains acquis n’étant plus sanctionnés par les examens ; enfin et surtout, le cadre national des diplômes disparaît, au profit de la capitalisation des « crédits européens », ce qui place de facto les universités françaises en situation de concurrence, accentuant mécaniquement les inégalités entre « universités riches » et « universités pauvres », seules les premières ayant d’ailleurs pu mettre immédiatement en place de nouvelles années d’étude pour s’aligner sur les standards européens (inégalités qu’accusera bien davantage encore la loi LRU de 2007).
Il faut enfin évoquer la « formation tout au long de la vie », véritable dogme libéral-européiste : il fait appel à la pseudo-évidence selon laquelle « on a besoin de se former tout au long d’une vie », mais sa fonction est en réalité de servir de justification à une formation initiale au rabais, laquelle favorise l’employabilité flexible et précaire de tous ceux qui sont jetés sans réelles qualifications sur le marché du travail.
4. Des contenus d’enseignement au rabais
En réalité, et sans doute le mesure-t-on mieux à présent, on a sous couvert d’ « harmonisation européenne » et dans le but de constituer le « grand marché européen de la connaissance », effondré le niveau des savoirs effectivement transmis par l’Ecole et l’Université, et foulé du même coup aux pieds l’égalité que doit pourtant veiller à garantir et à réaliser tout Service public.
D’ailleurs, bien des filières universitaires, dont j’aurai l’indulgence de ne pas dresser ici l’inventaire, ne recrutent plus que dans les classes populaires et moyennes, en ne remplissant pour fonction que celle de donner aux étudiants et à leurs familles l’illusion d’une incertaine promotion sociale, lors mêmes que, sur fond de massification, les diplômes et titres délivrés sont à ce point dévalorisés qu’ils ne garantissent aucun débouché qui soit à la hauteur des efforts pourtant consentis par ces étudiants et par leurs familles.
Mais il faut surtout revenir sur le « socle commun de connaissances et de compétences », qui, en dépit de l’apparence, ne renvoie en rien aux savoirs fondamentaux et se traduit par le renoncement à les transmettre, lors même que faute de cette transmission effective, notre système scolaire ne peut enfermer les enfants que dans le plus implacable des déterminismes sociaux…
Le « socle commun » a au contraire conduit à imposer « l’esprit d’entreprise », au détriment des savoirs fondamentaux et de la culture humaniste donc, laquelle élève pourtant l’individu humain au-dessus du calcul de ses intérêts particuliers ; il a favorisé une conversion sans mesure à la religion du « numérique » qu’il s’est agi d’appliquer partout où c’était concevable, et même là où ça ne l’était pas, bien que pourtant le numérique soit d’un intérêt pédagogique quasi-nul ; et a conduit à la vénération sans bornes de l’ « anglais de communication internationale », c’est-à-dire du globish, dont l’enseignement généralisé n’a de justification qu’à seule fin d’ « employabilité » toujours et encore, et au détriment inévitable des autres langues, outre qu’il se trouve souvent pratiqué alors que les élèves sont loin de maîtriser leur propre langue, du fait de la relégation des fondamentaux et de la baisse des exigences découlant de la logique curriculaire (acquisition différée au cours du cycle).
Ici encore le rapport Thélot qui se situe au point exact de rupture a le mérite d’exprimer une nouvelle fois les choses sans ambiguïté : il proclame que « les éléments que [le socle] contient doivent être adaptés à notre temps », soit, mais, précisant ce point, il ose ensuite affirmer que les seules « compétences fondamentales pour le citoyen du XXIème siècle [sont au fond] l’anglais de communication internationale [et] les technologies de l’information et de la communication ». Dans le même temps, en Italie, Berlusconi proclamait sa « régle des 3 I » résumant les seules missions du système d’enseignement : « Impresa, Inglese, Internet ». On appréciera les progrès permis par l’ « harmonisation européenne »…
Parallèlement on a assisté à une prolifération de pseudo-enseignements se caractérisant pour la plupart par une fuite en avant vers l’interdisciplinarité, le tout se soldant à la fois par le brouillage des cadres disciplinaires, pourtant nécessaires aux apprentissages effectifs, et par la baisse conséquente des horaires allouées aux enseignements disciplinaires, et tout particulièrement à celui des savoirs fondamentaux : ce furent, par exemple et sans exhaustivité, les TPE (travaux personnels encadrés), les IDD (itinéraires de découverte), plus récemment les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) instauré par N. Vallaud-Belkacem dans le cadre de sa réforme du collège. Mais je n’entrerai pas ici dans une description détaillée de ces dispositifs.
5. « L’autonomie des établissements », redoutable vecteur d’inégalités
A l’effondrement du niveau d’exigence et des contenus enseignés, amplificateur inévitable des inégalités sociales d’origine, on a encore ajouté les inégalités des élèves et des étudiants devants les enseignements selon les établissements où ils étudient. A cet égard, et ce sera mon dernier point, l’autonomiesans cesseaccrue des établissements, tantscolaires qu’universitaires, s’est révélée unredoutable vecteur d’inégalités.
L’autonomie des établissements scolaires s’est tout particulièrement centrée sur les « projets d’établissement », déjà institués par la funeste loi Jospin de 1989, et a conduit à ne plus proposer partout les mêmes enseignements, en contradiction totale avec le principe d’égalité des élèves devant les enseignements proposés et dispensés, corollaire scolaire du principe fondateur du Service public qui garantit l’égalité de traitement de tous les usagers.
Et c’est pourquoi, contrairement à l’ensemble des autres formations politiques, nous nous montrons extrêmement réservés face à l’autonomie croissante des établissements scolaires, et ne voyons aucunement en elle, contrairement à beaucoup d’autres, la panacée aux maux et aux dysfonctionnements dont souffre notre système d’instruction.
L’autonomie des établissements s’est aussi révélée comme moyen de développer, à l’échelle d’un établissement, ou d’un groupe d’établissements, des « partenariats locaux ». Ainsi, par exemple, a-t-on fait appel à des professionnels issus des entreprises, ceux-ci devant « [enrichir] les équipes éducatives, [favoriser] l’ouverture sur la vie, la nécessaire liaison avec l’entreprise, et [contribuer] à développer une éducation […] mieux articulée aux réalités des métiers » (je cite à nouveau le rapport Thélot – p.111) — autant de vieilles lunes libérales.
On perçoit bien le risque que cette autonomie des établissements et ce qu’elle favorise fait peser sur le Service public d’enseignement : ce à quoi, depuis le début des années 2000, nous avons commencé à assister, ce n’est rien de moins que le dévoiement de celui-ci par subordination, affectant jusqu’aux contenus enseignés, aux besoins particuliers de l’économie locale, subordination réalisant au mieux la logique de l’ « employabilité », en la parachevant.
En fait d’autonomie des établissements et de rapprochement, favorisé par les collectivités territoriales, entre l’Ecole et les entreprises, c’est bien la fin du caractère national de notre système d’éducation, garant de l’égalité des établissements et des enseignements sur l’ensemble du territoire national, qu’on entreprend de provoquer ; et ce dévoiement porte les prémisses d’une destruction pure et simple du Service public d’enseignement scolaire.
C’est pourquoi, on ne peut, à rebours de tout cela, qu’envisager de supprimer le « conseil pédagogique », donnant latitude aux établissements de déroger à l’organisation nationale des enseignements, et on ne peut que contrôler scrupuleusement l’influence des « partenaires locaux » et des « intervenants extérieurs » : l’ensemble des contenus enseignés et des horaires alloués à chaque discipline doivent être définis par des programmes nationaux, première condition de l’égalité des élèves devant les enseignements dispensés !
Pourtant, depuis la réforme Châtel mise en place à la rentrée 2010, le lycée français n’offre plus le même horaire d’enseignement à tous les lycéens, conséquence directe de la politique éducative de dérèglementationqui consiste à introduire une grande flexibilité dans la gestion autonome des établissements publics. Ainsi, avec désormais un volume de plus de dix heures par semaine, dont l’utilisation est à la discrétion des instances de l’établissement, la formation proposée aux élèves dans toutes les séries générales ou technologiques devient différente d’un établissement à l’autre.
Et, bien sûr, la multiplication des pseudo-enseignements, des combinaisons interdisciplinaires et des choix de thématiques possibles accentuent encore les disparités et les inégalités. Les plus récentes des réformes vont d’ailleurs résolument en ce sens : c’est le cas de la réforme Vallaud-Belkacem du collège portant création des EPI(enseignements pratiques interdisciplinaires), mais aussi de la réforme du Baccalauréat, impactant en retour l’ensemble de l’organisation du lycée, actuellement en cours à l’initiative de Jean-Michel Blanquer.
Ces différences sont notamment aggravées par les modalités très variables de l’ « accompagnement personnalisé », l’un des « pseudo-enseignements » précédemment visé. Si cet accompagnement, de par son intitulé même, semble se légitimer par la nécessité d’apporter à certains élèves une aide individualisée, et par la possibilité qu’il offrirait à chaque établissement de s’adapter aux spécificités de son public, la réalité est, d’une part, qu’il ne peut quasiment jamais se pratiquer en groupes restreints, mais le plus souvent en classes entières, et que, du fait de la variabilité de ses contenus, il accuse davantage encore les inégalité entre établissements.
L’ensemble de ces réformes concourent donc à la mise en place d’un enseignement« à plusieurs vitesses » : aux côtés des établissements d’excellence, l’immense majorité doit sans nul doute rechercher un meilleur encadrement des élèves en difficultés, par des accompagnements spécifiques et une meilleure prise en compte de la diversité des niveaux, mais l’institution scolaire ne saurait pour autant déroger à la règle qui en assure le fonctionnement depuis bien longtemps : celle qui garantit une offre d’enseignement identique à tous les niveaux du territoire national — principe de Service public !
Concernant l’enseignement supérieur, et l’autonomie pareillement accrue, voire poussée à une limite quasi ultime, des établissements d’enseignement supérieur, il faut s’arrêter sur la loi LRU (libertés et responsabilités des universités, dite « loi Pécresse ») de 2007 : cette loi prévoit de faire accéder toutes les universités à l’autonomie dans les domaines immobilier (elles doivent devenir propriétaires de leurs locaux et en assurer la gestion), budgétaire (article 50), dans celui de la gestion de leurs « ressources humaines » (article 18).
La loi LRU, pour reprendre le texte d’une pétition lancée alors, a en réalité pour finalité de « recomposer le paysage universitaire en instituant des mécanismes concurrentiels entre universités et entre individus […] à l’opposé d’une logique de service public » — on ne saurait mieux dire !
De sorte qu’on ne peut qu’envisager a minimad’abroger l’article 18 de cette loi afin de restituer à l’Etat la gestion de la masse salariale des fonctionnaires d’Etat affectés dans les universités, ce qui constitue un impératif pour réaffirmer que l’enseignement supérieur est un Service public national, dont la responsabilité ne peut que relever exclusivement de l’Etat.
- Conclusion : le Frexit, condition impérative pour reconstruire, par l’indépendance de nos politiques scolaire et universitaire, un véritable Service public d’enseignement
Parler d’Ecole et d’Université, cela revient inévitablement, hélas, à brosser le tableau d’un naufrage — un naufrage organisé par la soumission de nos politiques scolaires et universitaires à l’Union Européenne, et par la soumission et la démission corrélatives de l’Etat. Je ne dis certes pas que l’Union Européenne soit la seule responsable du désastre que l’une et l’autre connaissent. J’ai, dans de nombreuses autres conférences, exposé d’autres responsabilités, largement antérieures et bien franco-françaises elles, comme celle de l’égalitarisme instillé par Pierre Bourdieu et ses disciples, ou du pédagogisme théorisé et organisé par Philippe Meirieu, l’accouplement de ces funestes idéologies ayant tout particulièrement accouché, rue de Grenelle, de la loi Jospin de 1989.
Mais il ne fait aucun doute pour autant que l’exaltation des égalitaristes comme des pédagogistes a pu atteindre son paroxysme, lorsque, sur injonction européiste, l’on s’est mis à dévoyer la transmission des connaissances en apprentissage des « compétences ».
D’ailleurs ceux qui prétendent aujourd’hui rompre avec le « pédagogisme », comme significativement l’actuel ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, n’en ont bien sûr pas la réelle capacité : Blanquer annonçait par exemple, la semaine dernière, sa volonté de réintroduire dans les pratiques de l’Ecole primaire, la dictée quotidienne (annonce qu’avait d’ailleurs faite avant lui Najat Vallaud-Belkacem), la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture (ce qu’avait aussi annoncé un précédent ministre : Gilles de Robien, en 2005), l’enseignement de la grammaire et les exercices de calcul mental… Mais ces pratiques de bon sens, avec lesquelles il est incontestable qu’il faille renouer, entrent largement en contradiction avec la logique des « compétences » et des « cycles », avec les objectifs du « marché de la connaissance » et de l’employabilité, toutes choses, on l’a vu, imposées par les institutions européennes.
Ainsi pour que pareilles annonces ne demeurent pas au stade des vœux pieux, et ne soient précisément pas que de simples « effets d’annonce », encore faudrait-il que le ministre s’affranchisse des recommandations et injonctions de l’Union Européenne, ce qu’il ne fera évidemment pas, et quand bien même en aurait-il la volonté, encore faudrait-il que nous n’ayons pas renoncé à notre indépendance nationale et, en l’espèce, à l’indépendance de notre politique scolaire…
C’est l’évidence, notre Ecole et notre Université ne pourront renouer avec les bonnes pratiques d’enseignement, qui sont souvent celles dictées par le simple bon sens, avec ces pratiques qui découlent du sens de leurs missions essentielles telles qu’inspirées par le sens de l’intérêt général, lequel ne fait qu’un avec l’intérêt national, que sous la condition impérative du Frexit !
Le Frexit, et lui seul en effet, permettra, indépendance de nos politiques scolaires et universitaires retrouvées, de reconstruire un Service public d’enseignement véritable et performant, qui ira dans le sens de l’intérêt individuel de chaque enfant et de chaque jeune, lequel rejoint celui, collectif, de la nation, en garantissant à tous des chances égales, et à chacun de pouvoir s’élever au plus haut de ses talents et de ses mérites.