Tribune libre sur l’évaluation des enseignants du secondaire

Tribune libre sur l’évaluation des enseignants du secondaire

Le Collectif Racine, soucieux de la libre expression démocratique des points de vue, accueille ici les travaux qui, s’ils recoupent souvent ses positions, s’en éloignent toutefois sur certains points. Les contributions ici publiées seront systématiquement suivies d’une réponse estampillée « Collectif Racine » rappelant les positions qui se situent dans la droite ligne qui est la sienne. Comme il sied à une « tribune libre », cette réponse ne clora pas pour autant l’échange, les contributeurs ayant toute latitude pour réagir à leur tour.

L’évaluation des professeurs du Secondaire :

l’immobilisme à grands pas

 

par Arnauld de Tocquesaint

 

La question de l’évaluation des professeurs avait été relancée début 2012, à l’extrême fin du mandat sarkozyste, par le décret portant dispositions statutaires relatives à l’appréciation et à la reconnaissance de la valeur professionnelle des personnels enseignants, d’éducation et d’orientation relevant de l’Éducation nationale et par l’arrêté relatif aux conditions générales d’appréciation de leur valeur professionnelle pris par Luc Chatel (décret n°2012-702 du 7 mai 2012) alors même que François Hollande avait déjà été élu… À la grande satisfaction des nombreux tenants de l’immobilisme, tout a été supprimé par Vincent Peillon : machine arrière toute ! (décret n°2012-999 du 27 août 2012) Bref, il y eut aussi peu de réflexion dans la suppression que dans la préparation de la réforme. Pourtant, ce débat désormais escamoté jusqu’en 2017 au moins était parfaitement légitime car l’évaluation actuelle est, de l’avis très majoritaire, non satisfaisante. C’est une question qui touche bien sûr, au premier chef, les professeurs, mais aussi l’ensemble de la société : comment sont notés ceux qui notent ? Question très importante, en France comme à l’étranger : ainsi, au Brésil, l’une des revendications de la classe moyenne insurgée au printemps 2013 était précisément la réforme du système de notation des professeurs.

 

Quelles sont, chez nous, les données du problème ? Aujourd’hui, les professeurs du Secondaire (collège et lycée) ont un avancement d’échelons (onze pour la classe normale) qui dépend d’une note sur 100. Les « meilleurs » avancent au « grand choix » (30 %), les « moins bons » ou les moins chanceux à l’ancienneté (20 %) et, entre les deux, la moitié des professeurs avancent au « choix ». Un échelon passé correspond à un peu plus d’argent sur le bulletin de salaire, étant entendu que la progression salariale dans l’Éducation nationale est de toute façon lente et limitée, l’une des causes de démotivation des personnels. Une étude avait montré en septembre 2011 que le salaire moyen des professeurs français était inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE. En outre, le pouvoir d’achat relatif des professeurs du Secondaire (et donc leur statut social) a notablement reculé depuis trente ans (certains estiment ce recul à 25 %). La suppression de l’exonération des charges sur les heures supplémentaires — dont bénéficiaient de nombreux professeurs — et la poursuite du gel du point d’indice ne vont certes pas améliorer un ordinaire déjà bien terne. Dans ces conditions, la question de l’évaluation n’est pas anodine.

La note sur 100 qui permet donc d’avancer à trois vitesses différentes est décomposée en deux : une note administrative sur 40 est attribuée par le chef d’établissement (principal en collège et proviseur en lycée) et une note pédagogique sur 60 est donnée par l’Inspection (inspecteurs pédagogiques régionaux pour les professeurs certifiés et inspecteurs généraux pour les agrégés). La note administrative, strictement encadrée par une grille nationale, est pratiquement la même pour l’ensemble des professeurs d’un même échelon et, à mi-carrière, rares sont les professeurs qui n’ont pas atteint la note maximale de 40 sur 40. Cette note qu’il est impossible de rétrograder ne participe donc presque pas à départager les professeurs. En principe, le chef d’établissement juge l’assiduité-ponctualité, l’activité-efficacité et l’autorité-rayonnement du professeur, mais de facto sa note ne sert presque à rien dans l’avancement. Avant de hurler à l’arbitraire et à la tyrannie des chefs d’établissement, il faut donc dire, qu’aujourd’hui, le chef d’établissement ne joue qu’un rôle marginal dans cette fameuse notation. Il n’était donc pas aberrant de songer à revaloriser son rôle comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays d’Europe (Finlande, Suède, Pays-Bas, Royaume-Uni…) et comme c’est le cas en France même, dans le privé sous contrat, où le chef d’établissement procède lui-même à l’embauche des professeurs après entretien et examen du CV.

L’Inspection est, dans les faits, seule juge de l’avancement des collègues car seule sa note pédagogique sur 60 départage vraiment. C’est le premier problème. L’inspecteur prévient de sa visite en moyenne une semaine (et parfois plus d’un mois !) à l’avance le professeur ou l’équipe de professeurs qui vont être inspectés. Chacun a donc le temps de s’y préparer et la leçon-spectacle de 55 minutes à laquelle assiste l’inspecteur au fond de la classe est tout sauf spontanée. C’est le deuxième problème. L’inspecteur est seul à juger du travail du professeur. Nulle évaluation collégiale. Troisième problème. Le rapport qu’il produit n’est pas, dans les faits, contestable : il y a bien un « droit de réponse », mais il est purement théorique et, par crainte de représailles sur la note elle-même attribuée un an plus tard, les professeurs mécontents, généralement, se taisent. Quatrième problème. La plupart des inspecteurs pédagogiques régionaux (et encore plus les inspecteurs généraux) n’enseignent plus depuis dix ou vingt ans, ce qui explique qu’ils sont, pour beaucoup, déconnectés des réalités ce que tous les professeurs reconnaissent in petto. Cinquième problème. Enfin, les discours pédagogiques varient beaucoup d’un inspecteur à un autre et d’une année à l’autre, de sorte que le professeur doit se renseigner sur l’orientation de celui ou celle qui a annoncé sa visite pour être en phase avec la ligne officielle du moment. La liberté pédagogique est un vain mot. Sixième problème. Quant aux professeurs documentalistes, ils sont inspectés par les mêmes personnes que les CPE ou les chefs d’établissement, c’est-à-dire par des personnes souvent ignorantes en la matière… Septième problème, spécifique celui-ci. L’échec de la grève du 15 décembre 2011 contre la réforme  Chatel prouvait, s’il en était besoin, que les professeurs n’entendent nullement défendre le système pérennisé par Vincent Peillon.

Dès lors, une réforme semble bien nécessaire. Que faudrait-il faire ? Pour être crédibles, les inspecteurs devraient rester en prise directe avec le métier, c’est-à-dire l’exercer encore à temps partiel. Ils devraient aussi être exclusivement recrutés parmi les lauréats de l’Agrégation externe — et dans la mesure du possible d’un doctorat — pour ne pas avoir à inspecter des professeurs plus diplômés qu’eux, ce qui arrive parfois. La note de l’Inspection devrait être ramenée à 30 points. Le rapport qui précède la note devrait pouvoir être réellement discuté et contesté avec un réel droit d’appel auprès d’une instance académique, indépendante et compétente, composée de professeurs agrégés, expérimentés et très bien notés mais, en retour, les visites ne devraient être annoncées, règlementairement, que 48 heures avant, sans précision de la classe visitée et les notes devraient pouvoir être baissées. 30 autres points devraient être attribués par le chef d’établissement à qui une plus grande marge de manœuvre doit être donnée car, s’il est clair et entendu qu’il ne peut pas évaluer la valeur scientifique et pédagogique des professeurs, il doit pouvoir moduler sa note en fonction du niveau enseigné (la charge de travail et notamment de correction n’est pas la même selon les matières, en lycée et en collège, la responsabilité n’a pas le même poids dans les classes à examen…), en fonction de la prise de fonctions (charge de professeur principal, de coordonnateur, de tuteur…), de l’engagement auprès des élèves (soutien scolaire, animation d’ateliers, encadrement d’études…), de la progression des élèves… Une troisième note sur 30, attribuée par le recteur, pourrait prendre en compte le classement au concours de recrutement, les diplômes universitaires obtenus par le professeur (double licence, double master, doctorat…), l’affectation dans des établissements « difficiles », ses travaux de recherche, ses publications, les formations qu’il a suivies pour se perfectionner ou se diversifier, sa participation à des sociétés savantes, à des associations culturelles, à des cercles de réflexion, etc. Enfin, une note sur 10 pourrait venir sanctionner un petit mémoire professionnel soutenu publiquement par le professeur devant un jury composé d’un inspecteur, d’un chef d’établissement et d’un représentant de parents d’élèves. Les professeurs mal notés devraient se voir proposer des stages pour remédier aux problèmes identifiés.

On peut ainsi imaginer que, tous les cinq ans, année d’évaluation, chaque professeur renouvelle ses quatre notes et donc sa note globale sur 100 lui permettant d’avancer plus ou moins vite dans la classe normale qui passerait de onze à douze échelons. L’accès à la hors-classe, une fois le douzième échelon atteint, devrait être lui aussi réformé : pour y postuler, le professeur devrait être présenté par son chef d’établissement après avis positif de l’Inspection. Il passerait alors un concours national, à la fois théorique et pratique, un peu sur le modèle de l’Agrégation interne. Le concours ne pourrait être tenté que deux fois.

Pour qu’il bénéficie d’une vraie légitimité, ce nouveau système de notation et d’avancement devrait être approuvé par les professeurs eux-mêmes par référendum interne. On parle souvent de « démocratie participative » : il est temps de passer aux actes.

 

Un commentaire on "Tribune libre sur l’évaluation des enseignants du secondaire"

  • Les positions du Collectif Racine sur la question de l’évaluation des enseignants

    par Alain Avello

    En réponse à la note d’Arnauld de Tocquesaint :

    1/ « En outre, le pouvoir d’achat relatif des professeurs du Secondaire (et donc leur statut social) a notablement reculé depuis trente ans (certains estiment ce recul à 25 %) ».

    Il y a lieu à ce propos d’affirmer le principe et la légitimité indiscutable des concours. Cet affaissement du pouvoir d’achat trouve en effet ses causes et ses moyens (pour autant que ce fût là un but sciemment visé) dans ces vagues de titularisations contestables (titularisation de « personnels précaires » sans que ceux-ci n’aient à passer de concours) et alignement-plafonnement des statuts (les anciens PEGC, surveillants généraux ou documentalistes « élevés » équivalents certifiés).

    En l’espèce, les responsabilités reviennent aux revendications syndicales auxquelles les gouvernements de gauche ont souvent accédé.

    A l’opposé, le concours, institution éminemment républicaine, doit être réaffirmé de façon générale et en particulier ici, pour ce qui concerne donc la rémunération, comme impliquant l’accès à la grille indiciaire du corps et du grade correspondants.

    2/ « Avant de hurler à l’arbitraire et à la tyrannie des chefs d’établissement, il faut donc dire, qu’aujourd’hui, le chef d’établissement ne joue qu’un rôle marginal dans cette fameuse notation. Il n’était donc pas aberrant de songer à revaloriser son rôle comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays d’Europe (Finlande, Suède, Pays-Bas, Royaume-Uni…) et comme c’est le cas en France même, dans le privé sous contrat, où le chef d’établissement procède lui-même à l’embauche des professeurs après entretien et examen du CV. »

    Faut-il regretter que le chef d’établissement n’ait ni le pouvoir de recrutement des personnels enseignants, ni le pouvoir d’évaluation pédagogique de ces personnels ?

    Nous pensons tout le contraire.

    Le Collectif Racine est extrêmement réservé quant à l’octroi d’une trop grande autonomie aux établissements scolaires, car il considère que le redressement de l’Ecole de la République ne pourra advenir qu’à partir du haut (ou du centre).

    Par ailleurs, si devait se généraliser le recrutement des enseignants sur la base de contrats de droit privé, cela contredirait le principe du recrutement par concours, abordé au point précédent, dont nous considérons qu’il est le seul devant tenir lieu de règle.

    Enfin, le Collectif Racine se situe sur une ligne national-républicaine, et, de ce fait, ne saurait céder aux sirènes libérales qui voudraient qu’on fît de la loi commune l’exception. L’Etat stratège dont le discours frontiste ne cesse avec raison d’affirmer la nécessité sera aussi cet Etat qui recentralisera l’administration de l’ensemble des services publics, dont celui d’éducation.

    En substance, l’Education ne redeviendra nationale que sous la condition nécessaire de sa recentralisation.

    3/ Concernant la critique de l’inspection pédagogique que propose la note ci-dessus, elle nous paraît incisive.

    Rappelons une nouvelle fois ce qu’est notre ligne : nous sommes des patriotes qui voulons affermir la République par l’Etat, en enrayant sa subversion au profit du « local » (cf. point précédent) comme du « global ».

    Aussi, s’il faut en effet critiquer le système de l’inspection, c’est pour affirmer du même mouvement que, dans le principe, non seulement nous reconnaissons son entière légitimité, mais proposons plus encore qu’elle soit durcie dans ses modalités et qu’elle ait de réelles conséquence en termes de carrière.

    Les principaux syndicats de l’Education nationale ont voulu que l’inspection sous sa forme actuelle soit maintenue, puisqu’ils ont refusé les dispositions Chatel qui donnaient aux chefs d’établissements un pouvoir accru dans l’évaluation. Pour notre part, nous sommes aussi absolument attachés à la fonction remplie par les corps d’inspection, au point que nous voulons leur donner un poids réel.

    (Après 68, certains collègues prétendaient se soustraire à l’inspection en la refusant ; il n’étonnera personne que, pour notre part, nous proposions de la rendre plus contraignante et d’accroître son incidence dans le déroulement des carrières).

    4/ C’est pourquoi nous souscrivons totalement au principe d’une réforme de l’inspection pédagogique, à ceci près que nous ne sommes pas favorables à ce que la part en soit réduite dans l’évaluation totale de l’enseignant.

    L’idée de soumettre le rapport et la note d’inspection à procédure contradictoire, en cas de contestation, nous paraît tout particulièrement intéressante.

    On pourrait ajouter, toujours dans le but où il s’agit de limiter la part d’aléatoire, que l’inspecteur doit fonder son évaluation de l’enseignant, non sur la seule leçon à laquelle il assiste, mais sur des traces tangibles du cours (ce qui est certes déjà le cas, mais devrait être inscrit à titre de dispositions réglementaires définissant et encadrant l’acte d’inspection) : cahiers-classeurs des élèves, devoirs proposés, qualité des corrections, de copies, notamment, etc.

    Ajoutons que le système de péréquation des notes pédagogiques attribuées, en fonction du grade et de l’échelon de l’enseignant, mais aussi de la discipline qu’il enseigne, même s’il peut se comprendre, a néanmoins lieu d’être contesté, du point de vue précisément où il « amortit » le poids pourtant légitime de l’inspection dans le déroulement des carrières. Ce point exige toutefois une analyse affinée.

    5/ Pourquoi pas, ensuite, une évaluation plus générale des compétences et de l’investissement disciplinaires de l’enseignant, en effet ?

    Cela constitue une voie de réflexion, mais pose aussi de réels problèmes du point de vue de l’objectivité des critères. Il n’en reste pas moins que l’idée n’est pas dénuée de pertinence.

    Le système en effet se porterait beaucoup mieux s’il n’offrait la possibilité à nombre de nos collègues de perdre progressivement tout intérêt pour la discipline qu’ils ont pourtant, à l’origine, décidé d’enseigner ; qu’ils soient donc incités à raviver cet intérêt constitue, à n’en pas douter, un objectif à viser.

    6/ Nous sommes en revanche plus que réservés sur la proposition suivante : « une note sur 10 pourrait venir sanctionner un petit mémoire professionnel soutenu publiquement par le professeur devant un jury composé d’un inspecteur, d’un chef d’établissement et d’un représentant de parents d’élèves ».

    Ne répétons pas les raisons développées supra. Ajoutons toutefois que l’instruction républicaine, c’est la nation qui confie chaque année scolaire à des professeurs une fraction d’une classe d’âge, pour que ceux-ci l’élève selon un plan d’instruction conçu et mise en œuvre par l’Etat, incarnation de l’intérêt général.

    A ce titre, rien ne légitime la place faite aux parents d’élèves, a fortiori dans l’évaluation des enseignants !

    En revanche, que « les professeurs mal notés [doivent] se voir proposer des stages pour remédier aux problèmes identifiés », nous en convenons parfaitement, pour autant que ce soit à l’initiative des inspecteurs pédagogiques, dans le cadre d’une inspection aux procédures rénovées et aux incidences renforcées (cf. supra).