Les Assises de l’Education prioritaire : vers un énième enfumage gouvernemental

Les Assises de l’Education prioritaire : vers un énième enfumage gouvernemental

par Alexandre Liéthard

ZEP. En voilà un acronyme qui évoque bien des choses ! Tantôt justes, tantôt erronées, en proportion sans doute égale…

Les ZEP sont à l’honneur en ce moment. C’est en effet le 10 octobre dernier que se sont ouvertes les festivités, par le biais d’une demi-journée de concertation entre professeurs de collège et d’instituteurs, appelés à émettre leurs avis, leurs suggestions sur la refondation de l’éducation prioritaire voulue par Vincent Peillon, applicable à la rentrée 2015. Pour se faire une idée des objectifs et des thématiques abordés lors de cette journée, voir la page suivante sur le site du ministère : http://www.educationprioritaire.education.fr/les-assises-de-leducation-prioritaire.html.

Dans de nombreux établissements, les groupes de travail se sont organisés autour de huit questions, dont voici la retranscription fidèle et intégrale :

Atelier 1 : Que signifie concrètement construire ou conforter une école bienveillante, au quotidien et dans l’acte d’enseignement ?

Atelier 2 : Comment améliorer la compréhension par les élèves des attentes de l’école et enseigner explicitement les compétences qui permettent de comprendre et de réussir ?

Atelier 3 : Comment travailler la question du langage dans toutes les disciplines, en réseau et dans la continuité ? En particulier par quelles modalités développer l’apprentissage de la langue orale pour les moins de trois ans et la pratique de la production d’écrits à tous les niveaux ?

Atelier 4 : Quelle place faut-il donner aux parents d’élèves pour éviter qu’ils ne se sentent ou soient disqualifiés ? Comment faire « alliance » ? Comment leur donner toute leur place et pour faire quoi ?

Atelier 5 : Comment mieux intégrer la dimension éducative de l’école dans l’acte quotidien d’enseignement ? Par quelles pratiques individuelles et collectives peut-on rapprocher les approches (sic) éducatives et pédagogiques ?

Atelier 6 : Sur quels points et sous quelles formes souhaitez-vous de l’accompagnement et de la formation ? Une réflexion sur les priorités thématiques est aussi bienvenue.

Atelier 7 : Quels sont les modalités, outils, organisations, dispositions, capables de développer le travail en équipe, de le rendre indispensable en école, au collège, au niveau du réseau ? Comment développer un travail collectif, réflexif ?

Atelier 8 : Quels sont les indicateurs qui vous semblent devoir être pris en compte pour qu’une école, un collège, puisse bénéficier de la politique d’éducation prioritaire, y entrer, en sortir ?

Une brève et classique étude de texte, telle que pratiquée par les professeurs de français devant leurs élèves, suffit à dénombrer quelques curiosités.

Premièrement, on constate le chevauchement gênant des problèmes soulevés, pour ne pas dire une franche redondance des formulations.

Deuxièmement, on ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux aussi grands que des soucoupes face à l’intitulé de l’atelier 3. En quoi cette proposition concerne-t-elle des enseignants du premier et du second degré ayant obtenu les concours du CRPE, du CAPES ou de l’ AGREGATION ? Cela ne rentre pas dans leur domaine de compétence, ou alors un chapitre m’a échappé…

Enfin, il n’échappera à personne ayant à son actif un minimum d’expérience, que la question de l’atelier 4 est très orientée vers une politique on ne peut plus douteuse de co-éducation, qui en dit long sur les responsabilités que les technocrates entendent faire endosser aux professeurs, constatant jour après jour l’échec des politiques d’accompagnement social.

Afin d’orienter la réflexion, plusieurs ressources furent proposées, toutes listées en bas de la page correspondante au lien ci-dessus. Mine de rien, la consultation de ces six documents réclame un peu de temps et de concentration, ne serait-ce que pour en faire la synthèse. Or, il semblerait que de nombreux professeurs aient été informés de cette demi-journée banalisée très tardivement. Ce fut le cas dans mon établissement, à savoir cinq jours avant, à l’occasion d’une réunion syndicale. Sans cela, peut-être l’aurions-nous appris seulement la veille…

Finalement, de quoi cette matinée d’échanges et de débats a-t-elle accouchée ? Il faut d’ores et déjà saluer la patience et l’abnégation des professeurs les plus confirmés, qui ont eu une fois de plus à faire bonne figure devant ce qui n’est qu’une pâle résurrection de questionnements ayant déjà eu lieu sur de mêmes sujets.

Par ailleurs, il ne serait pas exclu que certaines tensions se soient faites sentir lors de la séance plénière introductive, comme me l’a relaté un collègue enseignant en banlieue « sensible », tout comme votre serviteur. L’inspectrice en charge des établissements ZEP, à l’évocation du poncif « La France est à la ramasse concernant les tests PISA par rapport à l’ensemble des pays d’Europe», a reçu une volée de bois vert, quelques voix dans l’assistance s’écriant d’un ton ferme : « FAUX ! », ou encore « ON NE PEUT PAS COMPARER ! C’EST ABSURDE ! ». Ce en quoi ils ont raison. Intervention éclair alors de la principale, furieuse, qui profère ce non-sens savoureux : « Je vous demande de cesser ces remarques, on n’est pas là (sic) pour parler de çà ! ». Ah bon ? De quoi, alors ?

Pour le reste, je ne doute pas que les participants aient un peu partout joué le jeu, faisant montre de bonnes intentions, et proposant des solutions efficaces en totale connexion avec la réalité du terrain. Ce fut le cas dans mon établissement, où les propositions diverses rejoignaient d’ailleurs ce constat qui remonte à 1998. Rien de nouveau sous le soleil :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/1998/61/3/NI_98.16_251613.pdf

Tout a été balayé de long en large, de l’obligation des heures d’accompagnement éducatif au socle commun de connaissances et de compétences, en passant par l’allègement des programmes, et j’en passe.

Cependant, il y a toujours la mouche dans le lait. Un blocage évident est apparu à propos des élèves d’origine étrangère, en particulier non-francophones (les fameux néo-arrivants ), et partant, de l’immigration et de son impact sur la composition et l’effectif des classes. Ainsi, je martèle cette vérité inamovible : aucun travail satisfaisant ne sera envisageable en ZEP tant que le nombre d’élèves par classe ne sera drastiquement réduit de 21, moyenne nationale qui d’ailleurs ne revêt strictement aucune signification en l’absence du calcul des écarts-types, à 15 élèves maximum. La solution est sous nos yeux, mais ceux qui décident à notre place refusent de la voir. Autant vous dire que ce sujet, pourtant à l’origine de 90 % des problèmes rencontrés en ZEP, surtout en région parisienne, est un tabou absolu, et le restera pour longtemps.

C’est grande pitié, si l’on se met définitivement dans le crâne qu’aucune refonte satisfaisante des ZEP ne sera possible tant qu’existeront dans notre pays des ghettos comme le quartier des Grésillons à Gennevilliers, un des plus épouvantables qui n’est pas sans remémorer George Orwell, ou encore celui de la Croix-de-Neyrat en plein Massif Central, à Clermont-Ferrand. Pardonnez-moi si j’en oublie. Ces complexes déshumanisés et annihilateurs sont intégralement reproduits dans de nombreuses classes, où aucune mixité sociale, indispensable à l’estime mutuelle et au dépassement de soi, n’est possible. Il m’est à l’heure actuelle insupportable de me trouver dans la situation de témoin impuissant de ce meurtre social, culturel et philosophique, commis de façon perpétuelle. Ce devrait être un sentiment très largement partagé, mais il n’en est rien. Un de mes élèves d’origine pakistanaise est venu me voir à la sortie d’un cours il y a peu. Il pleurait et me disait souffrir de rentrer chez lui tous les soirs en n’ayant rien appris. J’ai bien failli pleurer avec lui. Je ne peux plus accomplir ma mission librement, victime d’une politique ultra-libérale et mondialiste d’experts-comptables, et cela, je ne suis plus disposé à le tolérer encore longtemps. Je conçois qu’il existe des moments dans une carrière au cours desquels le découragement prend le dessus, mais il faut transformer ce désespoir en offensive. L’école de la République ne peut pas se permettre de recruter une génération de passéistes, et pire, de doloristes. C’est pourquoi je dis à tous ceux qui sont concernés, et avec lesquels je suis contraint chaque jour de travailler, qu’ils n’auront désormais plus droit qu’à mon dédain. Les salles des profs n’ont que trop résonné de geignardise.

Les séances de travail se sont conclues par une plénière récapitulative, où les secrétaires improvisés ont fait le bilan en cinq minutes, scrupuleusement chronométrées, de près de deux heures de discussions. L’un d’eux, plus téméraire que les autres, s’est risqué à cette sortie, non sans une froide ironie. Je vous rapporte en substance ses paroles : « En définitive, j’ai peur que nous n’ayons uniquement proposé des solutions pour agir avec nos maigres moyens, car nous savons tous ici que des moyens plus importants ne nous seront jamais alloués, comme cela a toujours été le cas ».

C’est en effet le seul enseignement à tirer de toute cette mascarade. Le rapport de la Cour des Comptes dresse un bilan financier négatif pour les ZEP, et le ministère, obéissant, satisfera à ses exigences, au mieux en s’enfermant dans l’immobilisme, au pire en grevant encore davantage les budgets. De toute manière, à bien étudier le calendrier de ces Assises pour la refondation de l’éducation prioritaire, il est évident que les dés sont pipés, et que la réforme est déjà entérinée depuis longtemps. Qu’on ne me fasse pas croire que de mai 2014, moment du bilan national de ces assises, à l’entrée en vigueur du texte en septembre 2015, le ministère va opérer un bouleversement en profondeur du projet initial.

Une fois de plus, les acteurs centraux de l’éducation jouent le rôle de dindons de la farce, une farce qui menace de s’achever dans la tragédie.

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