Epreuve de Français du Brevet des collèges 2014 : Analyse, humeurs et réflexions

Epreuve de Français du Brevet des collèges 2014 :  Analyse, humeurs et réflexions

Epreuve de Français du Brevet des collèges 2014 :  Analyse, humeurs et réflexions

par Alexandre Liéthard

 

C’était plus que prévisible. Dans la droite ligne de l’actualité et faisant suite aux multiples commémorations autour des deux guerres de 14-18 et 39-45, le sujet de la session 2014 avait pour thème la Résistance. Les candidats devaient plancher sur un extrait d’une pièce de théâtre posthume de Charlotte Delbo, Une scène jouée dans la mémoire. Héroïne de la Résistance, déportée, cette femme de lettres s’était aussi distinguée pour avoir soutenu la Bande à Baader dans les années 1970. Mais passons cela. Un dialogue de théâtre, dernier entretien entre Paul, condamné à mort par les nazis, et sa femme Françoise. Rien de bien passionnant à relever sur le ton et la forme. C’est assez convenu, vaguement teinté d’influences plus ou moins bien digérées de la dramaturgie claudélienne. On perçoit aussi quelques lointains échos de Maurice Maeterlinck. En bref, le style est dépouillé, froid comme l’acier. Décidément, l’heure n’est pas à la rigolade en France…J’y reviendrai à la fin.

Reconnaissons toutefois à cette mouture 2014 ( *voir le lien en fin d’article ) une qualité indéniable : les concepteurs ont eu l’intelligence d’y faire appel plutôt habilement à une réflexion historique, philosophique et artistique, associée à des interrogations sur l’importance de la scénographie et la finalité de l’argumentation, que ce soit dans la partie Questions ou Rédaction. Saluons-le, ce n’est guère courant.

En revanche, les questions de grammaire sont réduites à peau de chagrin. 1,5 misérables points sur 15. Professeurs de français, cessez de vous torturer en cherchant le meilleur moyen de faire comprendre ce qu’est un complément circonstanciel de manière ou les différentes valeurs du présent, et ce de la 6ème à la 3ème ! Vous finirez ainsi votre programme en temps et en heure ! Par ailleurs, aucune question sur les genres littéraires. Les figures de style, à la trappe ! Que c’est agréable de se sentir utile… Fidèle jusqu’au dogmatisme à la nouvelle formule du brevet, on constate d’emblée que plus de la moitié des questions sollicitent la sensibilité des élèves et un développement personnalisé des réponses. Ce n’est déjà pas si mal, si ce n’est que les logorrhées et le verbiage sont à craindre…

Venons-en maintenant à ce qui est gênant face à un tel sujet : tout d’abord, il décalque une énième fois le thème de la guerre, déjà présent dans les sujets proposés à Pondichéry et dans la quasi-totalité des centres étrangers. La preuve en est, s’il en était encore besoin, de l’obsession vouée à cette période, et du martèlement asséné aux adolescents en conséquence. Ce conflit semble être le référent absolu et incontournable. Il y en a pourtant eu d’autres, des guerres, et toute la production littéraire afférente n’est pas négligeable. Certains élèves ont ainsi manifesté leur lassitude par des soufflements en découvrant le sujet. Réaction que j’approuve ! Ils doivent commencer à avoir une petite idée des tenants et aboutissants essentiels de la seconde guerre mondiale, non ? Même les plus obtus parmi les obtus ! C’est à force de prendre les gens pour des imbéciles qu’ils le deviennent, parfois.
Ensuite, contre toute attente, le sujet 2 de la partie rédaction, celui de réflexion, n’invitait pas les élèves à penser le lien entre passé et avenir. La conscience des faits douloureux du passé, surmonter un traumatisme collectif en vue de construire un avenir meilleur. Classique, mais nous autres correcteurs nous en serions largement contentés.

De plus, aucune précision ni consignes supplémentaires ne figurant dans le sujet 1, celui d’imagination, à savoir l’invention de l’ultime lettre de Paul à ses enfants, l’intitulé ne permet pas aux candidats d’envisager la construction de cette lettre en usant de la rhétorique évoquée ci-dessus, alors que l’ensemble du texte la sous-tendait. Dommage, car très rares sont ceux qui y auront pensé en l’absence de quelques indications même ténues ; les autres tomberont immanquablement dans le travers psychologisant. Apitoiement du père, plaintes et larmoiements, en contradiction totale avec l’esprit et l’ambiance générale du texte, ainsi qu’avec le caractère impassible du personnage de Paul. Une anecdote à la fois drôle et terrible m’a été rapportée à ce propos par un collègue, qui laisse pour le moins songeur. On se prend à s’effrayer, et l’on abandonne l’idée de percer l’épais brouillard historique et culturel au milieu duquel un nombre croissant d’élèves se perd. Passant dans les rangs, ce collègue tombe sur une ineffable perle, chef-d’oeuvre d’anachronisme, déposée sur la copie d’un candidat : « Sois gentil avec ta maman et joue pas trop à la PS3 », dit Paul à son fils…

En lieu et place du sujet 2 que tout le monde subodorait, une bien curieuse question sur « l’apport de l’expression artistique » sous toutes ses déclinaisons à « l’évocation des événements du passé ». Sans avoir l’air d’y toucher, on s’approche d’un sujet type bac très ardu, aux présupposés d’ordre téléologique, que nombre d’impétrants à cet examen auraient bien été en peine de traiter. C’est bien simple, il semble tout droit sorti d’archives des décennies 50-60. Rappelons à nos chers supérieurs en charge de la création des sujets que le profil des élèves a légèrement évolué depuis…il faut, c’est vrai, pour cela avoir régulièrement fréquenté une classe depuis cinq ou dix ans, ce que ne fait plus un inspecteur. Le monde est décidément mal fait. Un tel intitulé de sujet exige une vaste culture générale et une connaissance historique assez précise. Deux conditions difficiles à réunir pour la présente génération d’élèves manifestant, dans sa grande majorité, un désintérêt affiché pour les questions culturelles au sens large du terme, sans parler des débats de société, et pâtissant d’un savoir bien souvent maigre et confus en histoire. Très perplexe moi-même, il a fallu me creuser la cervelle un bon quart d’heure à recueillir enfin des arguments et exemples convaincants.

Bonjour la prise en compte des lacunes et innombrables difficultés de rédaction et d’organisation des élèves de 3ème, lorsque l’on sait le refus du ministère d’alléger les programmes d’histoire, ce à quoi on est certes en droit de s’opposer, et pire encore, les alourdissant et semant la zizanie dans les cerveaux déjà bien chaotiques de certains élèves, condamnés à suivre une démarche non-chronologique, rassemblant les faits historiques comme on forme un puzzle !

Bonjour surtout la cohérence, la logique et la clairvoyance : le ministère prétend d’un côté privilégier la refonte des méthodes pédagogiques et reléguer les contenus d’enseignement au second plan, et propose d’un autre côté, à un examen national, un sujet destiné à d’hypothétiques étudiant(e)s en philosophie et arts appliqués !

Gageons que les consignes de correction seront indulgentes, pour ne pas dire condescendantes. De toute façon, un pourcentage extrêmement faible de candidats aura choisi ce sujet. Rien que de très habituel en somme…et sans vouloir lancer d’accusations gratuites, voire sombrer dans une paranoïa coupable, je soupçonne le ministère d’avoir délibérément conçu ce sujet impossible pour que les quelques courageux qui s’y seront frottés se plantent magistralement, fassent du hors-sujet à tout-va, permettant aux correcteurs et modérateurs de se livrer à une grande braderie aux points de complaisance, maximisant de fait les chances des plus faibles d’accéder à la moyenne. J’aimerais me tromper, car je suis fondamentalement optimiste. Mais…

Concluons à propos du sujet 2 que tout le monde attendait au tournant, et qui ne s’est pas montré. Le ministère, les inspecteurs et d’autres cadres ont donc fait l’option de ne pas inviter de futurs adultes, on l’espère responsables, à réfléchir sur le sens du combat mené il y a 70 ans en le raccordant aux combats (le pluriel est important) à mener aujourd’hui. On comprend aisément ce rejet, même s’il nous faut le regretter. Mettons-nous un instant à la place d’adolescents de 15 ou 16 ans, pour beaucoup en perte de repères moraux. Comment les faire réagir à la défense de la dignité, pour comprendre aussi que le sacrifice de soi, s’il ne va pas forcément jusqu’à la mort, n’est pas un vain principe ? Quels exemples concrets pourraient-ils puiser dans leur vie quotidienne ? Que pourraient-ils bien avoir à dire, sachant que la plupart d’entre eux sont angoissés par l’avenir et préoccupés seulement de confort, d’argent, de poisons télévisuels confinant à la lobotomie ? Le matérialisme, le pouvoir de l’image emportent tout sur leur passage ; les discours et les mots demeurent d’une portée toute relative. Il est très compliqué de faire entendre l’articulation des luttes d’hier et de celles d’aujourd’hui, parce que tout est structuré, conditionné afin d’engager l’homme atteignant l’âge adulte sur une voie en trois étapes descendantes : l’acquiescement, puis la passivité, et enfin le repli. Le renoncement aux valeurs et aux nobles idéaux accompagne naturellement cette chute.

Il ne reste plus qu’à notre hiérarchie, qu’aux penseurs de la doxa et à leurs relais zélés, qu’à nos dirigeants d’inverser cette tendance à l’uniformisation, à la tiédeur, pour qu’un sujet bien conçu tel qu’évoqué dans les précédentes lignes puisse voir le jour lors des prochaines sessions du brevet, si toutefois ce dernier continue d’exister. Cet examen méprisé par quantité d’enseignants peut et doit retrouver sa qualité d’antan. Pour cela, il convient de créer les conditions de saines et stimulantes délibérations de la part de la jeunesse future, en concentrant au plus tôt l’éducation, dès la cellule familiale, autour de la nécessité de l’engagement, citoyen ou politique, du sentiment du devoir accompli, de la poursuite de la respectabilité et de la préservation de l’honneur. Tout cela conjugué entraînera la prise en main progressive d’un destin commun véritablement égalitaire, et facilitera du même coup la disparition de l’égalitarisme destructeur. Au fond, c’est de ces notions tout sauf creuses dont le texte de Charlotte Delbo nous parlait, malgré les réserves que l’on peut émettre quant à son importance dans le champ des lettres françaises. Nous ne réclamons pas systématiquement des textes de grands auteurs classiques appartenant au patrimoine littéraire universel. Nous recherchons simplement à stimuler les intellects, les esprits et les âmes dans le but de former des citoyens debout, sachant quel est l’itinéraire de vie qu’ils devront emprunter. Nous ne sommes que les poseurs de balises et de jalons, pas des doctrinaires.

Les grandes vacances sont imminentes. Profitez allègrement, faites le plein d’énergie et revenez gonflés à bloc en septembre ! Il faudra se mesurer à l’année 2014-2015, qui s’annonce difficile, et résister avec nos humbles moyens aux toutes fraîches lubies de Monsieur Hamon, qui n’en est, craignons-le, qu’à son galop d’essai. Les défis à relever n’en seront que plus riches.

Le Collectif Racine saura, soyons-en assurés, fixer d’impérieux et urgents objectifs. Ce sera de longue haleine, mais il y travaillera de manière inlassable.

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