par Yacine Zerkoun
En cette rentrée scolaire, alors que les programmes d’histoire subissent des coupes franches, dans la droite ligne de la politique sarkozyste, il est bon de se rappeler ce qu’écrivait Michéa dans son livre L’enseignement de l’ignorance. L’hypothèse développée par l’auteur est que l’enseignement de l’ignorance est « une condition nécessaire à l’expansion de notre société capitaliste ». Moins de savoirs fondamentaux, plus de consommateurs. Cette équation expliquerait en partie pourquoi notre École pâtit aujourd’hui d’une crise de la transmission.
Le déclin du système éducatif américain dans les années quatre-vingt s’exporte en France aujourd’hui : « Il devient de plus en plus difficile aux gens de manier leur langue avec aisance et précision, de se rappeler les faits fondamentaux de l’histoire de leur pays, de faire des déductions logiques, de comprendre des textes autres que rudimentaires. »
Avec la réforme des programmes d’histoire-géographie qui allège l’enseignement de l’histoire de France, nous sommes sûrs que cela n’est pas près de s’améliorer.
On parle d’éducation de masse, de bac pour tous (on voit d’ailleurs que les médias cherchent à mettre en avant un nombre toujours croissant de nouveaux bacheliers; on fait par exemple des reportages sur les élèves qui ont obtenu leur diplôme avec la note maximale.) L’échec de quelques-uns ne doit pas gâcher la réussite de tous.
Le bac est presque vu comme une fin en soi. On a augmenté son pouvoir symbolique avec les années, alors que le degré de connaissances et de savoirs effectifs qu’il est sensé sanctionner diminue. Dans cette perspective, le bac pour tous n’est pas loin; et celui qui s’en réjouit, est soit un hypocrite, soit un ignorant.
Sur le concept d’ignorance: il est ici question du déclin de « l’intelligence critique », c’est-à-dire, de « l’aptitude fondamentale de l’homme à comprendre dans quel monde il est amené à vivre et à partir de quelles conditions la révolte contre ce monde est une nécessité morale. »
En ce qui concerne l’usage et la maîtrise du français, on voit bien que les SMS, les réseaux sociaux et les novlangues en tout genre diminuent, chez les jeunes qui les utilisent, le pouvoir de s’exprimer, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral, et la compréhension des textes (quand ils sont lus). Ce ne sont pas là les seuls effets négatifs, car au final, c’est la capacité même de formuler la résistance qui fera défaut. Nous ne pensons pas que les nouvelles technologies soient les seules responsables; c’est surtout qu’il n’y a pas de volonté politique de réhabiliter le français. D’ailleurs, le PS n’envisage-t-il pas d’éradiquer la langue de Flaubert des universités ?
Pour l’auteur, ce qui constitue les sociétés de l’Europe moderne, ce n’est pas tant « l’existence de classes marchandes aux activités développées », que l’idée même d’une société capitaliste. Dans cette société, l’effort est porté vers l’homogénéisation et la synchronisation des « différents types de marchés« , c’est-à-dire, vers un « Marché unifié et autorégulateur. » Pour y parvenir, il aura fallu, selon Hirshman, des « problèmes politiques spécifiques » aux monarchies européennes de l’époque. Mais il aura aussi fallu une certaine « configuration théorique » : « l’idéal des sciences expérimentales de la nature. »
C’ est pourquoi le « système » capitaliste ne commence qu’au 18ème siècle.
La théorie de l’Économie politique est qu’il suffirait « pour assurer automatiquement la Paix, la Prospérité et le Bonheur… d’abolir tout ce qui…fait obstacle au jeu ‘ naturel ‘ du Marché, c’est-à-dire, à son fonctionnement sans entraves ni temps morts. »
Cela suppose un individu-marchand et un individu-salarié, tous deux étant fondamentalement des « atomes sociaux », nomades et mobiles, sans religion, sans mœurs, sans attaches, qui ne sont mus que par leur intérêt propre. Pour arriver à cet individu, il aura fallu abattre les frontières en Europe, imposer la langue unique dans les médias, la diplomatie et les affaires, culpabiliser les élèves sur l’histoire de leur pays__ il aura fallu de même diminuer le pouvoir du religieux, non seulement à travers le culte laïque, mais aussi et surtout en ridiculisant la foi.
Ce ne sont là que quelques mécanismes de déracinements. Il y en a tant d’autres, dont certains sont liés aux nouvelles technologies : ce que Cédric Lagandré appelle le « connected people », d’après le célèbre slogan de la marque Nokia.
Un autre mécanisme de déracinement consiste à faire l’éloge de la mobilité, et en particulier de la mobilité internationale, avec les échanges entre écoles ou le programme Erasmus, qui permet aux étudiants européens d’effectuer un semestre ou deux à l’étranger. Aussi innocente que cette mesure puisse paraître, elle prépare déjà les jeunes à une mobilité future, en les coupant une première fois de leur famille, leurs amis, leur langue__ parfois leur religion
L’Économie capitaliste suppose un intérêt égoïste chez les hommes qui constituerait leur unique motivation__ comme un instinct animal. Or cet intérêt égoïste ne peut constituer une « valeur » : « ce au nom de quoi un sujet peut décider… de sacrifier tout ou partie de ses intérêts… voire sa vie elle-même. »
Nous ne vivons pas dans une société totalement capitaliste, dans la mesure où elle n’est pas uniquement régie par la logique de « l’intérêt bien compris. » Il y a encore des valeurs__ toute la jeunesse n’est pas « ignorante » au sens du livre. Nous vivons en fait dans une société partiellement capitaliste, qui a pu se construire grâce à des « types anthropologiques » qui lui sont antérieurs, comme « des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres…, des éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle, etc. » Le système capitaliste ne crée rien de bon; il utilise au contraire ce qui est bon, mais qui était là avant lui, pour se développer.
Les différentes réformes UMPS ne risquent pas de changer les choses dans le sens d’une revalorisation de l’Ecole, d’une réhabilitation de l’autorité du maître, d’un renforcement des savoirs fondamentaux. C’est une toute nouvelle politique dont l’Ecole a besoin.
Il faudrait selon nous régénérer les humanités, les langues (autres que l’anglais), améliorer la filière littéraire, augmenter progressivement le niveau du baccalauréat, arrêter les consignes laxistes données aux correcteurs, instituer le port de l’uniforme, renforcer les sanctions disciplinaires, mettre les grands auteurs au cœur de l’apprentissage du français, diminuer le nombre d’options pour se concentrer les matières essentielles, etc.
Il y aurait beaucoup de mesure à mettre en place pour faire de l’école ce qu’elle est malheureusement de moins en moins : un ascenseur social.
Bonjour,
Je viens de découvrir votre page. Votre combat est louable, et ce que vous dites est généralement correct. Cependant, vous vous trompez beaucoup sur les élèves. Peut-être ne fais-je pas partie de la majorité, mais je peux vous dire que l’envie d’apprendre est toujours là chez les jeunes. Quant à dire que le baccalauréat est donné (je suis en première ES), je voudrais tout de même nuancer vos propos. Certes, la plupart des élèves auront le bac sans le mériter, mais certains travaillent, que vous le croyez ou non. Evitez de généraliser. J’ai eu moi-même des professeurs excessivement compétents tout comme des personnes ne sachant pas du tout de quoi ils parlent. Est-ce que je déclare pour autant que tous les enseignants se valent ? Certains élèves (dont je fais partie) gardent cet amour pour la connaissance. Je me suis souvent ennuyée pendant des cours qui étaient trop faciles pour moi. Mais ce n’est pas une raison pour décrocher et abandonner ! Je me suis préparée à des concours, je fais des recherches personnelles en plus… L’élève motivé apprendra – s’il le faut par lui-même – et n’a besoin de personne pour cela.
J’ai dit que votre article était en grande partie juste. Néanmoins, je vous désapprouve totalement sur les « méfaits » de l’anglais. C’est un fait : le monde est anglophone, que vous le vouliez ou non. Il vaut mieux s’adapter à la réalité plutôt que de se renfermer sur soi. Ce n’est pas parce que j’aime l’anglais que je n’en apprécie pas moins les grands auteurs français. Au contraire ! C’est justement en allant voir ailleurs que l’on se rend compte de la chance que l’on avait dans son propre pays, et qu’on apprend à l’aimer davantage. L’ouverture sur l’international ne diminue pas notre sentiment d’appartenance à la France, bien au contraire ! Êtes-vous déjà allés étudier à l’étranger ? Avec qui se lie-t-on le plus facilement ? D’autres expatriés Français, car nous partageons la même langue. La langue française n’est pas morte. Parce que j’ai moi-même tenté cette expérience. Et je peux vous dire qu’elle est plus qu’enrichissante, que l’on apprend beaucoup, et qu’on est à la fois triste de revenir (parce que l’aventure à l’étranger s’arrête !) et heureux de retrouver sa famille. Le monde n’est pas noir ou blanc, ce n’est pas l’étranger ou la France.
Bon courage à vous !
En bref, on appelle cela le nivellement par le bas !…..et la forte population immigrée dans nos écoles n’arrange rien.
L’analyse est en effet excellente. J’ajouterai, en ce qui concerne le comportement des jeunes avec le langage SMS, que la baisse significative du niveau de l’orthographe s’accompagne d’une dépendance croissante aux smartphones. Le smartphone (car il est hors de question de posséder un simple téléphone portable pour les jeunes) en les reliant au monde 24H/24H les déconnecte complétement de la réalité et des liens autres que virtuels, tout en accroissant leur comportement de dépendance économique par rapport au téléphone. Finalement, que cherche-t-on à créer sinon de parfaits petits consommateurs, malheureux s’ils ne possèdent pas le smartphone dernier cri, et ignorants les bases de l’orthographe et de l’histoire. On crée des consommateurs (l’usage des ordinateurs et tablettes numériques en classe pousse à ce type de comportement) qui seront d’autant plus dépendants du système économique de consommation de masse qu’ils n’auront pas acquis les bases de l’enseignement.
Pour faire court : plus l’individu sera crétin et accro aux nouvelles technologies, plus il sera manipulable et prêt à travailler pour une bouchée de pain.
Je regrette que les parents et les enseignants soient « complices » de ce système.
Vous avez tout dit.
Quand j’entends des parents se mobiliser et s’insurger dans « l’affaire » Léonarda, je suis désespérée. « L’école doit enseigner la tolérance et l’ouverture aux autres, c’est son rôle ». Eh bien, non le rôle de l’école est avant tout d’enseigner et c’est de l’instruction que découle la tolérance et …le sens de l’intolérable. Le vrai sens.
Les élèves sont scotchés à la technologie, ils en en sont à ne plus être du tout dans la réalité. Non construits, dans l’immédiateté, décervelés par le système, en effet, ils seront des individus consommateurs à outrance, dociles et corvéables à merci. C’est ce que veulent le grand patronat et la gauche comme la droite confondues. Sans repères, sans racines, citoyens du monde et de nulle part, ni hommes ni femmes. Des zombis d’apparence civilisée.
Monsieur Zerkoun, le vieux soldat que je suis, en lisant votre analyse, reprend espoir.
J’ai servi notre pays pendant quarante ans sous l’uniforme, porté par un idéal, veiller à sauvegarder l’indépendance de la France. Cette indépendance devant permettre au peuple d’être lui-même en décidant, en toute liberté, de son destin.
Pourtant, lorsque nous avions des appelés nous étions dans la triste obligation de réapprendre à lire et à écrire à beaucoup d’entre eux. Le pourcentage d’analphabète n’a cessé d’augmenter avec les années. Beaucoup vers la fin de la conscription étaient ignorant de notre histoire et avaient de plus en plus de mal à lire les ordres ou a simplement écrire les consignes de sécurité.
Le 14 juillet ne représentait, pour eux, qu’un jour férié, un jour de permission. Ils ignoraient pourquoi notre drapeau avait trois couleurs et d’où venait ces couleurs. Nous étions obligé de vérifier qu’ils connaissaient et étaient capable de chanter la Marseillaise.
Oui, je souscris a votre analyse et appelle de mes vœux un retour aux fondamentaux de l’enseignement dans notre école.
« Ce ne sont pas là les seuls effets négatifs, car au final, c’est la capacité même de formuler la résistance qui fera défaut ».
L’expression « au final » en vogue depuis plusieurs années est incorrecte, contrairement à « au total ». Trois façons de le dire correctement : finalement, à la fin ou in fine.
Bien sûr, je soutiens votre combat. Je suis atterré de voir à quelle vitesse le Français est de plus en plus mal parlé, y compris par les journalistes, politiques ou chefs d’entreprise. L’usage du subjonctif est en train de disparaître sans que cela émeuve personne. Les participes passés ne sont plus accordés et même les adjectifs! 50 d’idéologie égalitariste et totalitaire dans l’enseignement.
L’abrutissement des citoyens n’est pas nouvelle ! Durant le siècle des « Lumières » la majorité des intellectuels tenaient des propos surprenants.
« Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu’il soit instruit, il n’est pas digne de l’être » c’est de la plume de Voltaire!
« Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations » ! C’est d’un autre encyclopédiste : La Chalotais dans Essais d’éducation nationale de 1763.
Tout à fait d’accord sauf sur un point qui me parait bizzare :
« diminuer le pouvoir du religieux … en ridiculisant la foi. »
Or, une foi est épargnée de fait : à savoir le coranisme, qui lui n’est jamais critiqué, bien au contraire, pourtant totalement contraire à notre civilisation et à nos valeurs qu’il déteste. L’esprit de dhimmitude et de soumission à son égard qui caractérise nos gouvernants depuis des lustres est aussi insupportable que leur anti catholicisme, qui lui est fondateur de notre civilisation avec la pensée antique. Le coranisme, serait-elle la seule idéologie-religion compatible avec le désastre actuel ?
Cordialement
Merci ! !!! ..pour votre analyse pertinente d’une idéologie affligeante et subie avec l’aval de nos têtes pensantes !
Je viens de finir de corriger mes cahiers du jour .Triste constat : de nombreux parents n’ont toujours pas signé celui de leurs enfants …Et que penser de leur mépris face au monde enseignant ? Je n’ai pas pour idéal de transformer cette opinion communément relayée par les médias mais juste de vivre mon idéal : passer outre des programmes démesurément ambitieux , de par leur complexité , leur déconnexion d’avec la réalité d’une classe polymorphe , passer outre les manques de vocabu
laire et l’absence de questionnement de mes élèves . peu motivés et en perte de repères , passer outre les heures de concertation , les PPRE , le RASED , les bilans de toutes sortes , systématisés à outrance , qui référencent les enfants dans des cases schématiques et dogmatiques , de diagnostics en diagnostics …Bref , passer outre tout cela et bien plus , au quotidien et ne faire que ce pour quoi on est fait : enseigner et transmettre le meilleur de nous-mêmes , aimer et faire progresser nos élèves ! Ce métier est passionnant et mériterait d’être pleinement valorisé , mais sans être au pays des fées , il est une chose toute simple , applicable sur -le champ que je rêverais de vivre : ayez confiance en nous , laissez-nous enseigner !
A déjà été fabriquée une génération « homme- masse » que décrit très bien Jacques Philarchein.
Des jeunes chez qui tout glisse : reproches autant que compliments, ils se foutent de tout, ne se révoltent contre rien, c’est le « pour moi, tout de suite, sans effort ».
Ces jeunes-là sont assez effrayants car dénués d’empathie envers leur prochain, ils ne réagiront qu’en parfaits pavloviens c’est à dire envers ce qu’ils appellent l’AUTRE. Forcément bronzé ou noir. Leur petit camarade blanc, très malheureux ne les intéressent pas le moins du monde.
Il est URGENT de remettre l’instruction et les valeurs à l’endroit sinon c’est un monde barbare qui finira par s’implanter durablement.