L’évaluation par compétences : vers une dévaluation des élèves

L’évaluation par compétences : vers une dévaluation des élèves

par Camille Paoli

 

La notion de compétence fit son apparition dans le milieu primaire avec la Loi d’Orientation Jospin de 1989. On nous la présenta comme « un savoir faire en situation » et elle devint le point d’ancrage de la pédagogie par objectif et du constructivisme scolaire qui, relayé dans les IUFM, proposa de placer l’élève au centre du système éducatif. Ainsi, celui-ci devait désormais construire son savoir, et plus largement ses compétences. Je ne m’attarderai pas ici sur les ravages que de telles conceptions ont pu exercer sur la relation maître-élève et la transmission des connaissances.

Mon propos concerne plus particulièrement l’évaluation de l’élève, étape indispensable et décisive du processus d’apprentissage. En effet, depuis la loi Fillon et la publication du « Livret Personnel de Compétences », les dispositifs d’évaluation en primaire ont été modifiés en profondeur, dans une incohérence la plus totale, que ce soit pour l’élève, l’enseignant et les parents.

L’évaluation par compétence imposée par le texte pose d’abord la question de la note chiffrée. Dans mon cas, cette question a été rapidement tranchée par une note de service publiée par mon IEN. En substance, celle-ci indiquait clairement et simplement que la note chiffrée devait être abandonnée au profit des appréciations lettrées .  En pratique, l’évaluation sommative ou plus classiquement le « contrôle » ne doit donc plus faire figurer de barème chiffré pour chaque exercice proposé mais plutôt la compétence évaluée, formulée clairement. La note globale n’existe plus, au lieu de ça, une référence lettrée doit figurer en face de la ou des compétences ciblées. Liberté pédagogique oblige, le codage reste « libre » : le choix doit s’opérer entre quatre lettres (A,B,C ou D) ou abréviations (A, AR, ECA, NA pour Acquis, A Renforcer, En cours d’Acquisition, Non acquis)…

Le livret scolaire est lui aussi totalement modifié : adieu le bulletin de note faisant apparaître clairement disciplines et moyennes, vive le livret de compétences ! Nous voici donc en présence d’un livret de quatre pages format A3 présentant une séries d’une cinquantaine de compétences (après simplification),  parfois incompréhensibles et  non évaluables, et face à elles un alignement de lettres, parfois agrémentées d’un exposant (+ ou-) …

Au-delà de l’absurdité pratique, ce nouveau dispositif d’évaluation par compétence participe du nivellement par le bas. La note chiffrée est signifiante, que ce soit pour l’élève, l’enseignant et même et surtout les parents. Elle sanctionne, récompense, signifie les progrès, valorise et, allez, je vais oser… classe. Elle est le reflet de la vie sociale à laquelle les élèves vont se confronter. Quoi qu’en disent nos penseurs pédagogistes, la société sanctionne, récompense et classe. Comment signifier ses efforts et progrès à un élève si ce n’est par une augmentation de sa moyenne d’un trimestre sur l’autre ? Comment différencier les excellents élèves des bons, tous logés à la même enseigne de « la compétence Acquise » ! L’effort doit être récompensé tout comme l’excellence. Seule la note chiffrée est porteuse de sens. De plus, l’évaluation par compétence implique une évaluation « à peu près ». A partir de quels indicateurs critériés précis  l’enseignant peut-il déterminer la frontière entre une compétence acquise ou en cours d’acquisition ?

La notion même d’acquisition reste floue.  Reprenons notre LPC (livret Personnel de Compétence) publié par le ministère, et qui au passage, vient s’ajouter au livret scolaire de classe, noyant un peu plus élèves et parents dans la connaissance des résultats. Dans ce fameux livret, reconnu par tous (même certains syndicats politisés !) comme indigeste et inutile, les compétences se valident par cycle. Ainsi, une compétence acquise en CE2 l’est définitivement, même si elle est réévaluée dans les niveaux suivants ! De l’incohérence et de l’inutilité pédagogique.

Ce dispositif  entraîne la démotivation des élèves qui ne perçoivent plus le sens de l’évaluation. Il n’y a qu’à constater leur engouement lorsque, au risque de subir une sanction administrative, je propose dans ma classe de remplacer, sur une dictée, la lettre par la note !

On nous parle de continuité école-collège mais où est la cohérence lorsque des élèves de primaire subissent le « régime de la compétence » et basculent soudainement en 6eme et ses devoirs notés ?

Cessons de dévaluer nos élèves en leur imposant un système d’évaluation subjectif et non porteur de sens, voire porteur de non sens.  La notion de compétence à l’école primaire a été introduite par la gauche et son pédagogisme nocif. La droite a quant à elle enfoncé le clou en dénaturant notre système d’évaluation.

Le rétablissement de l’autorité du maître et des notions de travail et de mérite ne peut se passer d’un retour à la note chiffrée. L’acte pédagogique dans son ensemble en dépend.

7 commentaires on "L’évaluation par compétences : vers une dévaluation des élèves"

  • Teo dit

    Je pense pour ma part qu’il faut les deux : notes et niveau de capacité (par contre je refuse les compétence dites « transversales »). Je m »explique:
    Quand un élève à 20, vous savez qu’en gros il connait tout très bien. Quand il a « 0 », il ne sait rien (ou ne veut pas vous montrer quoi que ce soit »). Un « 10 », il sait quoi au juste ? Qu’est ce que l’élève n’a pas appris /compris … vous ne le savez pas sauf si vous avez dans un fichier type Excel noté ce qu’il sait ou pas (micro-capacité dirait l’inspecteur) et cet élève dit « moyen » progressera rarement sur ses faiblesses.Il gardera ces points forts et ces points faibles. Pour moi, il vaut mieux une note sur par ex la proportionnalité qui le suit au moins toute l’année parce qu’ une partie de cette notion peut être abordée dans d’autre partie du programme et cette note peut-être réévaluée avec les progrès tout au long de l’année.
    La note qui fait référence à un niveau, modifiable, oui. Une note à l’ancienne qui donne l’état de ce qu’à appris l’élève pour le contrôle, est pour moi à bannir car en définitive c’est contre productif. Autre exemple simple: Verbe irrégulier en anglais: A une première évaluation 0/20, la suivante: 16/20. Il mérite quoi comme note ? 8 ou 16 ?
    Pour moi c ‘est 16. Il ne savait pas et maintenant il sait. C’est la seule chose qui compte. Et à la fin de l’année s’il connait tous les verbes, pourquoi pas lui mettre 20 à cette note qui le suit toute l »année « verbe irrégulier ».

  • Resnet dit

    Un élève brillant n’a pas sa place aujourd’hui dans une école publique, à fortiori en zep où le constat est alarmant. Dommage qu’il n’y ait pas d’alternative. En tant que parent, je n’hésiterai pas à mettre mon enfant dans une école où l’effort est récompensé et valorisé.

  • Mérou dit

    Les Enseignants doivent savoir que le livret scolaire est obligatoire mais qu’il est laissé au libre choix de l’Enseignant. Celui qui ne veut pas se soumettre aux dernières lubies des pédagocons mondialistes peut très bien conserver dans sa classe dont il est le maître, le relevé de notes à transmette aux parents. La liberté pédagogique existe encore et je vous garantis que n’importe quel inspecteur baisse d’un ton quand on lui indique que l’on fera respecter le droit. Il existe encore un syndicat qui se bat pour que la loi soit respectée, et les inspecteurs les plus pédagogistes n’en mênent pas large quand un collègue accompagné d’un responsable syndical vient dans leur bureau leur rappeler les textes. Je ne parle pas ici pour les jeunes collègues en formation soumis pour leur titularisation aux lubies des profs d’IUFM et aux conseillers pédagogiques valets serviles, pour la plupart, des néopédagogistes mais pour les autres collègues titulaires donc qui ne risquent plus rien. Ceux là doivent se battre, refuser d’appliquer, et croyez moi s’ils sont mal vus part la hiérarchie dont ils n’ont que faire, ils seront soutenus par la majorité des parents de leur classe qui savent eux où se trouve l’intérêt de leurs enfants.

    • membre303 dit

      Merci pour le rappel de la loi, Mérou.
      Mais je ne suis pas aussi optimiste que vous sur la possibilité de du choix.
      Certes l’enseignant est consulté, mais tout dépend du contexte dans lequel il se trouve.
      Dans mon collège, à majorité de très jeunes profs, le chef d’établissement pousse très habilement vers l’instauration de classes sans notes en 6ème pour commencer, en transmettant des messages du « café pédagogique » (une officine pédagogiste à observer), en organisant des réunions sur ce thème, en envoyant des collègues « se former » dans des établissements qui ont mis cette idée en pratique, en répétant que les professeurs des classes sans notes seraient seulement des volontaires. Mais il faut des enseignants dans toutes les matières, et certains risquent de se trouver seuls à noter dans des classes sans notes.
      Les profs plus âgés, dont je fais partie, sont plus réticents que les plus jeunes, qui commencent leur carrière et craignent de s’opposer à la direction, ou bien sont suffisamment endoctrinés pour être convaincus, ce qui se rencontre aussi parmi des enseignants déjà expérimentés, et que ces méthodes enthousiasment.
      Par ailleurs, je vous envie de pouvoir vous appuyer sur les parents. J’ai au contraire l’expérience de parents –de la FCPE- littéralement hystériques, et qui m’ont harcelée avec le concours d’une principale qui a provoqué 2 inspections parce que j’avais l’indignité de continuer à appliquer le barème d’orthographe qui a eu cours pendant trente ans, et que j’appliquais dans mon ancienne Académie (Versailles) trois mois avant, de 2 points par faute de grammaire. D’où 25 élèves sur 29 ayant zéro sur vingt.
      La FCPE se distingue très généralement par des prises de position dignes d’ayatollahs. Leur souci n’est nullement la qualité de l’enseignement reçu, mais le souci du « bien-être » de leur enfant (c’est (le slogan du projet d’Établissement) et le fait qu’il passe en classe supérieure.

      L’inspecteur n’est pas la seule personne susceptible d’exercer une pression sur l’enseignant. Il y a aussi le chef d’Établissement, les autres enseignants, les parents.

      • fran.lebrun dit

        Et ça ne vous pose pas problème 25 élèves sur 29 qui ont 0? vous ne pensez pas que vous pourriez évaluer autrement pour mettre en valeur les petites réussites de vos élèves?
        Dommage! j’appartiens à la famille des valets serviles pédagoconnes qui se réjouit des progrès des élèves.

  • C’est un fait que le nébuleux carnet de compétences n’offre aucun attrait ni pour l’élève ni pour ses parents.
    Je me souviens l’avoir lu en diagonale (très large), je voyais les A et basta. Alors que pour mon ainé qui est passé au travers, tout le monde s’extasiait sur les notes et bien sûr les commentaires auxquels nous attachions autant d’importance.

    Les lettres ne donnent rien de précis et de plus les compétences en question me laissaient souvent perplexe ( travail en groupe, communication avec les autres… !)

    Les enfants s’ennuient beaucoup à l’école, seuls s’en sortent ceux qui ont l’appétence d’apprendre, la curiosité, le goût du défi ( réussir quelque chose de difficile)et souvent ce sont les « privilégiés » qui bien entendu s’en sortent le mieux. Ceux qui vivent avec des parents qui aiment l’activité intellectuelle.
    Bien qu’il y a des exceptions aussi : l’ennui est tellement profond que ça les dégoûte de tout. Et-ou- de peur de passer pour un bouffon, ils se mettent en veilleuse très longtemps.

    L’école ne valorise plus, elle casse, elle meurtrit.