Enseigner l’Histoire en primaire : une absurdité pédagogiste

Enseigner l’Histoire en primaire : une absurdité pédagogiste

par Camille Paoli

 

De l’élève passionné à l’élève professeur désabusé

 

L’Histoire. Dans mes souvenirs d’élève de primaire, l’Histoire tient une place privilégiée. J’ai en mémoire, des récits, lus ou narrés par mes maîtres charismatiques, des personnages historiques, que dis-je ,des héros ayant marqué l’Histoire de ma nation, des dates minutieusement placées et illustrées sur une immense frise chronologique observée et admirée chaque jour, des leçons longues et passionnantes apprises avec plaisir, des participations à des cérémonies commémoratives largement porteuses de sens…

L’Histoire a marqué véritablement ma scolarité, de par son contenu si riche et attractif mais aussi et surtout grâce à  la manière formidablement efficace que mes maîtres ont adoptée pour me transmettre les connaissances de la discipline.

Jeune professeur des écoles, une de mes plus grandes motivations consistait, de fait, à m’investir particulièrement dans l’enseignement de la discipline qui m’avait passionné dans mon enfance.

J’arrivai donc dans le métier pourvu de certaines représentations des méthodes d’enseignement, représentations qui allaient rapidement être « cassées », et ce, dès les premières séances de « formation ». En effet, les IUFM à la fin des années 90 sont régis par les dogmes pédagogistes issus des méthodes dites actives post soixante huitardes. On nous inculqua par conséquent les principes d’un enseignement de l’histoire dans lequel l’élève  était  un historien en herbe, qui devait construire la connaissance à partir d’hypothèses, de recherches, de conflits socio cognitifs, de vérifications d’hypothèses… Le terme « leçon » fut bien évidemment banni au profit de la « trace écrite », laquelle devait être rédigée par les élèves eux-mêmes ! Cette démarche pédagogique se situait dans un contexte institutionnel exigeant de placer l’élève au centre du système éducatif. On nous apprit à nous méfier des manuels scolaires, ces derniers comportant trop de connaissances et illustrations, a priori nocives pour l’élève… Au lieu de cela, notre séance d’Histoire devait s’articuler autour d’un nombre limité de documents (texte, tableau, gravure…) : deux pour le cycle 2 et trois pour le cycle 3 !

J’ai en moi le souvenir hélas impérissable de l’un de mes formateurs projetant l’exemple d’une séance sur les causes de la Révolution Française en CM2, basée sur la simple étude d’un graphique indigeste présentant l’évolution du prix du blé au cours de l’année 1789,      d’ un texte de cinq lignes relatant la vie d’un paysan et d’une piètre gravure illustrant le texte… La conclusion de la session de  formation fut pour moi la plus traumatisante, la voici en substance : « Il est inutile qu’une trace écrite ne comporte trop d’informations, trois mots clés peuvent suffire. « Impôts-Privilèges- Révolte », par exemple… ».

Dans ce cadre, le maître est « animateur ». Il guide, étaye, reformule mais ne transmet jamais. L’élève « construit » le savoir avec son aide.

En quelques minutes, ce formateur venait de déconstruire (pour reprendre un terme cher aux constructivistes) ma conception première de l’enseignement de l’Histoire. En élève professeur discipliné, je tirai donc un trait sur mon passé d’écolier et mes conceptions pédagogiques initiales, considérant que mes maîtres d’alors étaient dans le faux, que j’avais  pour le coup subi un enseignement trop transmissif et directif, malgré les résultats obtenus. Je m’attelai alors sérieusement à la conception de séances d’Histoire problématisées, recherchant les deux ou trois documents supports les plus efficaces possibles et rédigeant de magnifiques fiches de préparation pourvues d’objectifs généraux , spécifiques et transversaux, de modalités de regroupement d’élèves et d’aménagements matériels.

 

Puis vint la mise en pratique. Mes premières classes. Et là, quelle ne fut pas ma surprise quand je m’aperçus assez rapidement que, malgré toute ma bonne volonté de placer mes élèves au centre de l’apprentissage historique, mes cours d’Histoire n’avaient de cours que le nom. Elèves dissipés, désinvestis, perdus.  J’en vins très vite à la conclusion que j’avais été plus « déformé » qu’autre chose au cours de mon année de stage (et cela bien au-delà de la seule discipline historique). Je repris alors le dessus et me réorientai vers une méthode d’enseignement de l’Histoire qui avait porté ses fruits dans ma tendre jeunesse. Je devins  maître. Celui qui sait et qui transmet. Celui qui sait et qui raconte. Celui qui apporte un cadre strict à une leçon qui se doit d’être riche au niveau du contenu et de l’exigence. Et de constater avec satisfaction l’évolution positive de l’intérêt des élèves et de leurs apprentissages. La place laissée à la recherche et à l’échange n’était pas pour autant réduite à néant dans mes séances. Cependant, je me situai davantage dans le cadre d’une conception verticale de la transmission du savoir.

 

Du professeur débutant « rebelle » au professeur expérimenté peu rassuré

Plus d’une douzaine d’années après, j’enseigne l’Histoire selon les mêmes convictions.

Cependant, je n’ai point constaté d’évolution institutionnelle positive quant aux méthodes d’enseignement, bien au contraire. La tendance est même inquiétante. Toujours moins de chronologie, de dates, de grands personnages historiques, éléments pourtant fondateurs d’un enseignement historique pertinent. Récemment, j’ai même été confronté au cours d’une animation pédagogique à l’apparition d’une nouvelle approche inquiétante de l’organisation temporelle de l’Histoire : les progressions spiralaires…

 

Il s’agit d’une répartition du programme sur un cycle (le cycle 3 en l’occurrence) qui propose de traiter toutes les périodes historiques (de la Préhistoire au monde contemporain) chaque année, en variant les thématiques et les entrées. Concrètement, un exemple : La Première Guerre Mondiale pourra être étudiée en CE2 d’un point de vue politique, en CM1 sous la thématique militaire et en CM2 sous l’aspect social (rôle des femmes, des civils…). Il en est de même pour les autres périodes.

Ce type de progression tranche totalement avec l’approche chronologique de découpage du programme sur les trois années. Pour avoir expérimenté (consigne institutionnelle oblige) de telles progressions, je ne peux que constater leur inefficacité : périodes survolées, repères chronologiques absents, études des grands personnages reléguées, élèves démotivés par l’absence de « découverte » des périodes d’une année sur l’autre…

Une fois de plus, en invoquant l’innovation, l’institution se trompe, s’éloigne des fondamentaux.

L’enseignement de l’histoire implique une utilisation rigoureuse de la chronologie et un mode de transmission vertical, dans lequel la narration par le maître,  les dates à connaître et l’étude des grands personnages ont toute leur place.

Le redressement de l’école et de la nation passe par la transmission des valeurs républicaines et d’une culture historique commune. L’enseignement de l’Histoire se doit d’être pris très au sérieux.

Il est urgent de stopper les errances pédagogiques néfastes et de revenir à des méthodes d’enseignement structurées et par conséquent, structurantes.

8 commentaires on "Enseigner l’Histoire en primaire : une absurdité pédagogiste"

  • Murt dit

    Mére et grand’mère….je ne peux que m’associer aux commentaires de ces enseignants;
    Mes enfants ( qui ont pourtant fait des études « honorables ») ignorent l’histoire de leur pays au point que, même la visite d’un site, ou d’un monument historique, les ennuie profondément…
    Une anecdote: ma fille, en licence de lettres, devait étudier « la Société Espagnole « au xvième siècle…Petit problème: qui était le roi Carlos, maman?…et la Maison de Valois?

    Cher collectif Racine vous avez beaucoup de travail à faire et je ne peux que vous soutenir!!!
    C’est tellement important!!!

  • Annie dit

    Je suis prof de russe LV3 dans un lycée. Je suis horrifiée par l’ignorance des élèves quant aux rudiments de l’histoire. Et quand, en classe, on commence à conjuguer le verbe « aimer », la matière qui vient en second après l’éternelle phrase « je n’aime pas les maths », c’est toujours « je n’aime pas l’histoire-géo ». Tout ce que mes élèves savent de la Russie et de l’ex-URSS, c’est qu’il y a eu Staline, le totalitarisme et des goulags! Sans parler de la géographie « toute bête » qui consiste à situer une ville, un fleuve ou une chaîne de montagnes sur la carte. C’est plus que frustrant. Il est grand temps de remédier à cet apprentissage de l’ignorance.

  • philiberte dit

    Je suis institutrice à la retraite depuis 10 ans, j’ai toujours enseigné l’Histoire comme on me l’avais apprise, la transmission des savoirs. Le hasard a fait que j’ai eu ma dernière inspection, en 2001, pendant une leçon d’Histoire. J’étais très confiante, parce que c’est ma matière préférée, et que j’étais très à l’aise. Je suis tombée de haut!!! mon rapport indique que mon cours était digne « du café du commerce »! je vous laisse deviner la note…

  • MARY dit

    Bonjour,
    Je suis Médecin retraité mais j’aime l’Histoire et je me souviens qu’élève en 3ème au Lycée Buffon, il y a longtemps ,je m’étais aperçu, avec d’autres collègues, que notre professeur d’Histoire, communiste, avait déjà « capturé » l’Histoire de France à sa manière, et pourtant à cet âge là nous étions beaucoup moins « éveillé » à la politique que ne sont les élèves de 3ème actuellement mais la « présentation de ce prof devait être tellement caricaturale que nous nous étions aperçu de la mystification. D’ailleurs cette année là il a eu Budapest et les chars Russes , qui ont fini par nous édifier définitivement sur la « neutralité » de ce prof. J’ai compris qu’il faisait parti de ces gens pour qui l’Histoire de France commence en 1789 !!!!

  • mercier dit

    J’enseigne les maths en lycée et j’ai les mêmes difficultés causées par cette invention débile qu’est la progression spiralée.Mes collègues l’ont adoptée et malgré ma opposition à cette méthode qui doit soi-disant permettre à l’élève d’être partie prenante de la construction de son savoir( hé oui …) je ne vois que des élèves perdus au milieu de thèmes que l’on commence en même temps et qui ne sont jamais achevés … ou du moins qu’on termine à l’arrachée , bac oblige…Je suis hélas contrainte à suivre ces errements à cause d’une autre diabolique et tout aussi inefficace invention de la « réforme  » des lycées, à savoir l’accompagnement personnalisé qui consiste la plupart du temps à rassembler par groupes pouvant s’élever à 15 ou 20, des élèves de différentes classes, d’où la nécessité de la progression commune.
    J’en suis presque à adhérer à la thèse du complot de nos dirigeants contre l’intelligence et l’avenir des enfants français, c’est dire !!!!

  • L’institution ne se trompe pas : elle emmène les élèves exactement là où elle veut qu’ils aillent. Dans le Rien. Dans le néant. En faire de parfaits consommateurs avertis qui sauront tout des différents forfaits de téléphonie mobile et RIEN sur le pourquoi du comment de la révolution, des croisades, ou de les sources des fleuves qui ont modelé le territoire.

    Des citoyens du monde citoyens de nulle part, imbéciles, incultes et ne se mobilisant que pour l’AUTRE. Tellement plus humain que le Français de coeur……..