« Directeurs d’école : un énième rapport pour rien », par Daniel Philippot, vice-président de Racine

« Directeurs d’école : un énième rapport pour rien », par Daniel Philippot, vice-président de Racine

 

DIRECTEURS D’ECOLE :
UN ENIEME RAPPORT POUR RIEN

par Daniel Philippot
Vice-président de Racine

 

Le 1er août 2018, en commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, Valérie Bazin-Malgras, députée LR de l’Aube, et Cécile Rilhac, députée LREM du Val d’Oise ont présenté un rapport parlementaire sur les directeurs d’école, intitulé « mission flash » et proposent, face à un “malaise général des directeurs d’école”, de leur créer un statut.

Qu’apporte ce nouveau rapport dans ce débat vieux de près de 40 ans ? Est-il novateur ? A-t-il davantage de chances d’aboutir à un changement significatif pour les directeurs d’école ?

Après un rappel rapide de quelques-unes des multiples études sur le sujet, nous verrons que cette « mission flash » n’est que poudre aux yeux, qu’elle présente tant d’incohérences qu’elle sera vite oubliée car sans intérêt.

La création d’un statut du directeur d’école est l’un des plus vieux serpents de mer de l’Éducation nationale.

Déjà en 1982, le rapport Pair dans une mission commune d’information du Sénat affirmait que « le système scolaire ne pourrait faire l’économie d’une rénovation du statut du directeur d’école et d’un renforcement de sa capacité à remplir pleinement sa mission d’orchestration pédagogique ».

En 1987, René Monory, ministre de l’éducation nationale, se heurte à une forte opposition de la part des syndicats pour doter les directeurs d’école d’un véritable statut, avec une responsabilité hiérarchique sur les instituteurs.

En 2004, un décret en Conseil d’État prévoyant d’expérimenter des établissements publics d’enseignement primaire (EPEP) n’a jamais été publié.

En 2006, la signature d’un protocole met fin à une grève administrative des directeurs d’école commencée en 1999. Un sondage Ifop indique que 93% des directeurs sont favorables à un statut spécifique. Le gouvernement et les syndicats enseignants s’y opposent.

Le 16 octobre 2008, Frédéric REISS, député, auteur de la proposition de loi portant création d’EPEP présente un avis devant l’Assemblée Nationale.

« Les directeurs, à l’image de leurs homologues de l’enseignement privé et des chefs d’établissement du secondaire, doivent disposer d’un statut digne de ce nom, qui fasse d’eux les pilotes et les responsables de la politique pédagogique de l’école. »

En 2009, un rapport de l’IGEN préconise la création d’EPEP et valorise le rôle du directeur d’école

Dans un rapport publié le 16 décembre 2008, sous la présidence de Philippe Seguin, « la Cour des Comptes recommande de redéfinir la fonction de directeur d’école, qui recouvre l’exercice d’une responsabilité essentielle pour le bon fonctionnement de l’école et constitue un lien indispensable permettant d’articuler les préoccupations pédagogiques et les questions administratives. »

Le 18 novembre 2010, lors de l’examen du budget de l’enseignement scolaire, la commission culture du Sénat rend un avis (n° 114). L’occasion, pour ses rapporteurs, de faire un tour d’horizon du fonctionnement de l’école et d’enfoncer le clou…

le 8 décembre 2010, la Commission des Affaires Culturelles et de l’Education en conclusion des travaux de la mission sur les rythmes de vie scolaire, déposait un rapport sur le bureau de l’Assemblée Nationale.

« Il est temps de congédier l’image des directeurs d’école « primus inter pares » sans pouvoir hiérarchique, pour leur reconnaître le rôle de véritables managers chargés d’impulser et d’orchestrer le projet pédagogique de l’école en dialogue permanent avec l’ensemble des acteurs de la communauté éducative. »

Le rapport propose que leur soit attribué un plein statut de chef d’établissement exerçant ostensiblement le pilotage de l’école, ce qui impliquera de leur transférer un certain nombre des pouvoirs aujourd’hui alloués aux inspecteurs d’académie.

En 2012, le rapport Debarbieux Fotinos soulignait que « les directeurs se sentent pour beaucoup seuls et démunis, avec un statut et des fonctions peu claires. Il est anormal qu’à effectif parfois égal les directeurs du premier degré ne bénéficient pas des aides dont bénéficient leurs collègues du second degré, chefs d’établissements. »

« Il est temps d’accorder aux enseignants une véritable autonomie de l’école accompagnée des moyens de fonctionnement nécessaires« , note E. Debarbieux.

Le rapport des inspectrices générales Marie-Hélène Leloup et Martine Caraglio, publié le 20 novembre 2015, dénonce « l’inadaptation de la circonscription du premier degré ». Le rapport révèle que ce mode de pilotage est unique en Europe. Dans la plupart des pays européens, les établissements scolaires disposent d’une marge d’autonomie totale ou partielle alors qu’en France « l’absence de personnalité  juridique prive l’école d’autonomie financière ».

« Pour la majorité des recteurs rencontrés par la mission, le système actuel de fonctionnement du premier degré a atteint ses limites et ne peut pas perdurer sous la même forme », écrivent les rapporteurs.

Tous ces rapports dénoncent la gouvernance de l’école primaire qui n’est plus adaptée à l’école du XXIème siècle. Leurs constats sont redondants faute de n’être jamais pris en compte.

Tous les rapports soulignent que « la direction influe sur le motivations, les capacités et les conditions de travail du personnel enseignant, qui lui-même définit les pratiques pédagogiques et l’apprentissage des élèves ». Le rôle du directeur ne peut être séparé de la réflexion portant sur la gouvernance de l’école.

Les missions du directeur, l’alourdissement de ses tâches, la multiplicité de ses relations avec les différents acteurs de l’école, la difficulté de remplir son rôle d’enseignant et de responsable d’établissement… tout est connu. Tout a été dit et écrit dans de nombreux rapports. Les ministres, l’Administration centrale, la hiérarchie, les syndicats… tous connaissent parfaitement les problèmes et même les solutions pour y remédier. Nul besoin d’un énième rapport.

Tous les auteurs de rapports s’accordent sur un point évident : on ne peut pas asseoir un système sur un directeur dont la seule autorité est charismatique.

La première conséquence, c’est une faible attractivité de la fonction qui entraîne une désaffection importante.

La seconde conséquence, qui découle de la première, est catastrophique pour le fonctionnement de l’école : chaque année, ce sont plusieurs milliers de directions qui restent vacantes et sont « imposées » à de jeunes professeurs d’école sortant de formation qui, dès leur entrée dans le métier d’enseignant, se voient « confier » la direction d’un établissement.

Alors que tout a été dit, écrit et analysé, pourquoi ces deux élues LR et LREM ont-elles écrit un nouveau rapport qui n’apporte aucune plus-value ni même la moindre contribution innovante dans le débat ?

Elles font le même constat que leurs prédécesseurs et insistent, comme eux, sur « la nécessaire revalorisation de la fonction passe par la création d’un statut de directeur ».

Elles ne connaissent pas les problèmes réels pourtant connus de l’administration. Ainsi, écrivent-elles : « comme l’on manque de candidats aux fonctions de directeur, certains directeurs sont nommés trop tard pour bénéficier de la formation initiale. »

Les « directeurs nommés trop tard » ne sont rien d’autre que des débutants complets n’ayant jamais exercé, qui sortent de formation et que l’administration « convainc » d’assurer la direction d’un établissement. En effet, en acceptant un poste de direction, ces professeurs d’école stagiaires obtiennent une première nomination à proximité de chez eux. Ce « chantage » au rapprochement géographique permet aux académies de combler les milliers de postes non pourvus chaque année, au détriment de la qualité du service.

Les deux élues écrivent également que « la raréfaction des EVS fait qu’ils sont accaparés par les tâches matérielles et administratives au détriment de l’animation pédagogique et du suivi des élèves ».

Les directeurs d’école n’ayant pas de secrétariat, des emplois aidés (Aide Administrative aux Directeurs d’école – AADE ou EVS) ont été mis à leur disposition.

Or, ces députées LR et LREM devraient savoir que les emplois aidés ont été supprimés par Nicolas Sarkozy, rétablis par François Hollande et plus récemment fortement réduits par Emmanuel Macron en septembre 2017. Aujourd’hui, le Premier ministre dévoile que leur suppression est programmée.

Elles proposent donc d’autres solutions pour prendre en charge ces emplois aidés « afin que cela ne pèse pas trop dans les dépenses publiques »

– « dans certains endroits, il serait possible de mutualiser les secrétariats des inspecteurs de circonscription (IEN), pour les missions qui n’ont pas besoin d’être effectuées dans l’enceinte de chaque école (standard téléphonique et prise de rendez-vous, inscriptions) » ;

Comment peuvent-elles méconnaître à ce point que les secrétariats des IEN sont le plus souvent surchargés de travail ?

En nous proposant une solution du genre « doctolib », nos deux scribouillardes rendent plus complexes les relations entre les familles et l’école.

– « des aides administratives pourraient être apportées par les communes : des secrétaires de mairie ou agents territoriaux seraient mis à disposition pour une mission à durée déterminée dans une ou plusieurs écoles » ;

Là encore, elles ignorent que les maires dénoncent la baisse drastique des dotations de l’Etat. Les communes n’ont absolument pas les moyens de financer des emplois aidés qui ne sont pas de leurs compétences.

– « l’apprentissage est une piste à explorer : l’apprenti pourrait être placé dans l’école pour se former aux tâches de secrétariat, sous le tutorat de l’IEN ou d’un secrétaire d’IEN. »

Comment un secrétariat d’IEN pourrait-il former, à distance, sans être à leur côté, plusieurs dizaines d’apprentis placés chacun dans une école différente ? Comment expliquer une telle proposition ?  Par un manque de réflexion, une méconnaissance des sujets ou plus simplement une incompétence notoire à traiter de ces thèmes ?

Dans leur paragraphe « Augmenter les décharges (d’enseignement) », Valérie Bazin-Malgras et Cécile Rilhac écrivent : « Selon les estimations que nous avons obtenues du ministère de l’Education nationale, la mesure que nous proposons représenterait un surcoût de 3 800 équivalents temps plein. »

Ignorent-elles qu’en ces périodes de croissance inférieure aux prévisions, la suppression de postes de fonctionnaires est clairement envisagée et même annoncée ?

Il est évident qu’elles ne peuvent croire elles-mêmes aux solutions qu’elles préconisent.

La dernière partie de leur rapport est consacrée à la mutualisation des moyens entre collèges et petites écoles rurales. Leurs propositions montrent qu’elles ignorent tout des fonctionnements des différents établissements.

Enfin, leur « mission flash » est totalement incohérente. Elle n’établit aucun lien entre « statut du directeur » et « statut de l’école ». En effet, comment permettre à un directeur d’être responsable et autonome s’il est à la tête d’une entité non reconnue et inexistante sur un plan statutaire ?

Depuis 30 ans, tous les rapports nous le rappellent : « le rôle du directeur ne peut être séparé de la réflexion portant sur la gouvernance de l’école » et « il est illusoire de penser qu’à elle seule, la création d’un statut du directeur d’école suffira à améliorer les résultats des élèves de l’enseignement du premier degré si, de son côté, le statut de l’école primaire, qui est aujourd’hui un service municipal, ne connaît aucune évolution. »

Certes, Valérie Bazin-Malgras et Cécile Rilhac mentionnent « l’absence de personnalité  juridique [qui] prive l’école d’autonomie financière » mais elles n’en tirent aucune conséquence. A ce titre, leur rapport souffre d’une grave incohérence qui ne peut le rendre crédible.

Les solutions qu’elles proposent ne peuvent être mises en place par le gouvernement d’Edouard Philippe dont les mesures vont à l’encontre des préconisations du rapport (postes à créer pour les décharges d’enseignement, contrats aidés…).

Leur rapport n’offre donc aucun intérêt. Il ne suscite aucune curiosité de la part des directeurs d’école qui savent qu’ils n’ont rien à attendre de la politique conduite par Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer.

En effet, le 12/04/2018, dans sa réponse à une question écrite d’un sénateur, le Ministère de l’éducation nationale déclare :

« À la rentrée 2017, le Gouvernement a pris la décision difficile, mais nécessaire, de réduire le nombre de contrats aidés, ces emplois n’étant pas financés et n’ayant pas démontré leur efficacité pour une insertion professionnelle réussie  […] Par ailleurs, des actions sont menées pour alléger les tâches administratives des directeurs. Le recours à l’informatique y contribue. À ce titre, l’application ONDE (outil numérique pour la direction d’école) qui a remplacé l’application BE1D (base élèves 1er degré) est devenue un véritable outil professionnel simplifiant la gestion quotidienne du directeur d’école en apportant plus d’ergonomie et des gains de temps, grâce à l’automatisation et à la dématérialisation des procédures courantes (courrier type, certificats de radiation, accès à des documents référents…) tout en améliorant la concertation et les échanges avec les familles et les communes. Enfin, les académies sont engagées dans un travail de réorganisation du support administratif aux écoles à travers, par exemple, la mise en place de plateformes mutualisées de secrétariat ou encore la simplification des procédures administratives gérées en relation avec les directeurs d’école. »

Chaque directeur de France et de Navarre peut témoigner de l’alourdissement constant des tâches administratives. L’outil numérique qualifié par le ministère de « véritable outil professionnel »… peut-il remplacer le statut indispensable au directeur d’école pour exercer correctement son métier ? Ces quelques mesurettes saupoudrées depuis 30 ans lui apporteront-elles temps, reconnaissance, autorité et autonomie…?

 

 

Nos propositions :

 

L’évolution du métier de directeur d’école doit s’inscrire dans une politique plus globale du pilotage de l’école primaire.

Le rôle du directeur ne peut être séparé de la nouvelle organisation de la gouvernance de l’école.

 

La reconnaissance véritable du directeur d’école passe inévitablement par un double statut :

–       le statut de l’école transformée en un établissement d’enseignement

–       le statut de son directeur reconnu chef d’établissement.

 

Il convient  de :

–       renforcer l’autorité pédagogique et l’évaluation des directeurs d’école

–       doter chaque directeur d’établissement d’un secrétariat formé et pérenne

 

Nous proposons de remplacer le statut actuel des écoles primaires et des EPLE par un statut unique, celui d’EPE pour Etablissement Public d’Enseignement.

Statut commun qui unifiera et simplifiera les règles d’administration des établissements primaires comme secondaires, en les refondant sur les principes du service public.

Des mesures transitoires devront sans aucun doute être prises pour regrouper les petites structures trop nombreuses sur le territoire.

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