TRIBUNE
« DE CHARLIE A SAMUEL : NI DENI, NI FAIBLESSE ! »
C’était un jeudi, au début de l’année 2015. Le lendemain de l’épouvantable attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier. A midi, la France s’arrête pour observer une minute de silence, unie face à la haine et à la barbarie. C’est le cas, bien sûr, dans tous les établissements scolaires du pays — il était du moins prévu que ce fût le cas.
C’est à ce moment que l’horreur se redouble : des lycéens, des collégiens, un peu partout en France, particulièrement bien sûr dans ces établissements pudiquement désignés comme « sensibles », refusent d’observer ce moment de recueillement. Pis, ils s’emploient à le troubler, à le profaner et fissurent ainsi l’unité de la nation !
Ils se mettent à parler à haute voix, à rire parfois, à rivaliser de provocations. Des propos fusent, terribles. On entend alors, un peu partout, « ils ont insulté le prophète ! », « c’est bien fait ! », « ils l’ont bien mérité ! »…
Face à ces attitudes insupportables, qui crient à la face de la nation toute entière l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de s’unir, fût-ce dans un moment qui appelait pourtant une solennité sans faille, à ces réactions révélant le plus crument la faillite totale de l’assimilation républicaine, et laissaient déjà craindre que l’horreur, si rien n’était fait, inéluctablement, se répète, tant les ennemis de la République, de la France, se trouvent manifestement en son cœur même, sont ses propres enfants, l’administration de l’Education nationale, fidèle au « pas de vagues » qui sera quelque temps après amplement dénoncé, s’enferre dans le déni : non, tout cela n’a pas existé, n’a pu avoir lieu, la minute de silence s’est déroulée normalement, partout. « Circulez, y a rien à voir ! »
Le silence peinera pourtant à se faire. Quelques voix s’élèveront pour raconter et exprimer leur dégoût et leur inquiétude. Parmi elles, celle d’une de nos adhérentes d’alors, enseignante de mathématiques dans un collège de Loire-Atlantique classé « Zone d’Education Prioritaire ». Elle tenait à cette époque sur notre site internet et dans notre publication papier une chronique, où elle relatait le quotidien d’un établissement « ZEP ». Dans cette chronique le réalisme sans concession laissait aussi place, parfois, à l’espoir, celui que, malgré les renoncements d’un système ne cherchant plus guère à faire face à une situation le dépassant presqu’entièrement, faisait naître à l’occasion, à la marge, des intelligences de gamins parvenant malgré tout à s’éveiller, redonnant ainsi, sporadiquement, aux enseignants une certain foi dans leur mission.
Voici le récit que Géraldine Rose, tel est son nom, donna de la journée du 8 janvier 2015 au collège Pierre Norange de Saint-Nazaire :
Hier, l’attentat de Charlie Hebdo. Déjà, j’angoissais à l’idée d’aller travailler le lendemain. Je me doutais que j’entendrais des choses inacceptables dans les couloirs de la part de certains élèves, et je ne savais pas comment j’allais réagir.
Mais l’horreur a été présente partout. En arrivant à 8h, la direction de l’établissement nous a demandé de parler avec les élèves de l’attentat dès le début des cours. Mais que dire, je ne suis pas psychologue des situations de crise, je suis juste une enseignante moi ! Alors, on me l’a expliqué…
Il faut éviter toute tension, tout débordement car nous avons beaucoup de musulmans dans l’établissement. Il faut reprendre l’intervention de M. Hollande. Il faut dire que nous ne faisons pas d’amalgame. On ne doit surtout pas parler de religion, surtout pas parler des caricatures du prophète, surtout pas dire que ce sont des islamistes…
Je préviens ma direction que je refuse d’intervenir devant mes élèves sur ce sujet en argumentant que je ne veux pas faire de politique au collège, que je ne suis pas capable de faire face « objectivement » aux réactions des élèves. Puis, je lui demande ce que l’on doit faire si on entend des propos choquants ? Et là, on me dit qu’il faut juste dire à ces élèves que l’on est choqué de ce que l’on entend et ne pas relever! En gros, il faut baisser les yeux, fermer les oreilles au risque de débordements dans le collège. Que dire ?
Puis vient la minute de silence à 12h. Surprise : mon chef vient en personne la faire dans ma classe… A-t-il pensé que je refuserais de lire aux élèves le texte qu’il a écrit ? Il nous lit ce texte. On ne parle pas d’islamisme, de religion, on ne cite pas les noms des 13 personnes massacrées, on ne parle pas de leur famille. On parle de « journalistes qui utilisaient l’humour pour aborder l’actualité ». Puis cela finit par : « Aujourd’hui, nous sommes bien sûr tous différents : c’est notre richesse et notre chance ; nous sommes tous bouleversés».
Et, en parallèle, voici quelques phrases que l’on a entendues dans les couloirs ou en classe : « on ne la fera pas la minute de silence », « nous aussi on va faire un attentat » ou la plus horrible « ils l’ont bien mérité »…
Au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, il ne fallait donc, consignes de l’administration de l’Education nationale, « surtout pas parler des caricatures du prophète, surtout pas dire que ce sont des islamistes ». Il fallait à tout prix éviter les débordements ― et les « vagues » — afin de ménager coûte que coûte une improbable paix sociale, lors même que le terrorisme islamiste venait de perpétrer un acte de guerre contre la République…
Par la publication de son récit qu’elle assuma jusqu’à ne pas hésiter à le signer de son propre nom, notre collègue et amie passa outre. Elle puisa le courage nécessaire à l’exercice d’une parole libre, à la conviction que, si la situation n’était pas décrite, et sans complaisance aucune, si les coupables n’étaient pas nommément désignés, cela très certainement se répèterait, cela ne pouvait que se répéter et s’amplifier.
Pour avoir osé parler, sa parole ayant de surcroît été relayée par un webjournal local (Breizh-Info), pour avoir écumé la mer se rêvant si calme de l’Education nationale de quelques unes de ces « vagues » tant redoutées par l’administration, elle fit l’objet, sous les tirs croisés de sa hiérarchie, des syndicats gauchistes trop heureux de l’occasion de s’en prendre à une enseignante patriote, et de l’inénarrable FCPE, organisation de parents d’élèves ultrapolitisée et, partant, animée par des desseins semblables, d’une véritable chasse aux sorcières, les uns et les autres lui faisant payer de ne pas avoir, à son tour, consenti au déni, d’avoir brisé le silence, d’avoir lancé l’alerte..
Voici d’abord ce qu’osèrent écrire les parents d’élèves de la FCPE Loire-Atlantique, dans leur Courrier hebdomadaire du 15 janvier 2015, cas d’école de dénégation, de déni coupable et, donc, de complicité :
Voici à présent ce qui fut reproché à Géraldine Rose par son administration, reproches qui conduisirent à ce que soit prise à son encontre une sanction administrative : rétrogradation par baisse de sa note administrative (ce qui n’advient en principe qu’en cas de faute grave…) :
Au final, profondément traumatisée par le sort qui lui était fait, elle dut quitter l’académie de Nantes en demandant sa mutation pour le sud-ouest de la France
L’histoire de Géraldine appartient désormais au passé. Mais quand presque 6 ans de déni perpétué et d’inaction coupable ont passé, il est à se demander ce qu’il en sera le 2 novembre prochain, lorsque tous les établissements scolaires observeront cette nouvelle minute de silence, en hommage cette fois à notre collègue Samuel Paty, notre collègue d’histoire assassiné vendredi dernier, à Conflans-Sainte-Honorine, par décapitation ?
Il y a, hélas, fort à parier, que les provocations, les apologies assumées de l’horreur du 8 janvier 2015 se répètent, ce que semble d’ailleurs avoir anticipé le ministère lui-même, puisqu’il a timidement annoncé que des sanctions seraient prises.
Pour notre part, nous ne nous tairons pas, nous ne nous soumettrons pas à l’injonction du « pas de vagues », nous ne nous ferons pas complices du « pas de vagues », de l’omerta
L’heure n’est plus aux euphémismes, aux effets d’annonce ni aux demi-mesures jamais appliquées.
L’heure n’est plus, de la part de l’Etat et de ses administrations, à la faiblesse, à la pusillanimité et à la couardise.
L’heure est aux actes ! Aux actes forts, intransigeants et répressifs, car l’exceptionnelle gravité de la situation récuse son règlement par les seuls moyens de l’éducation..
C’est pourquoi, nous exigeons que les chefs d’établissements reçoivent dans la semaine, par circulaire ministérielle, la consigne explicite de transmettre systématiquement au procureur de la République les signalements d’attitudes non-conformes lors du moment de recueillement solennel et tout au long de la journée, afin que, dans les cas avérés, soient engagées des poursuites pour « apologie du terrorisme » à l’encontre des élèves et pour « défaut d’éducation » à l’encontre de leurs parents.
La gangrène islamiste a pris possession de notre société comme de notre Ecole.
Il n’y a plus d’autre choix que d’user des moyens appropriés pour l’éradiquer.