L’état de l’enseignement vu de l’Université – allocution de Monsieur Pierre Dussol (Marseille, 4 octobre 2014)

L’état de l’enseignement vu de l’Université – allocution de Monsieur Pierre Dussol (Marseille, 4 octobre 2014)

L’état de l’enseignement vu de l’Université

par Pierre Dussol,

Professeur honoraire de Sciences Economiques.

Aix-Marseille Université

 

 

Comme aujourd’hui la plupart des bacheliers tentent des études dites « supérieures », il est utile qu’un témoignage d’universitaire vienne clore notre réunion.

1-       LA CREATION D’UNE ILLUSION DANGEREUSE

En 1968 les réformes ont abouti au « droit au diplôme » pour tout le monde. Cela créait des « assignats universitaires », (selon l’expression du Doyen Vedel) , moyen le plus sûr pour que les enfants des familles aisées s’en sortent mieux que les autres.  Depuis quelques années, nous y sommes. Car « tout n’est que conséquences ».

Les étudiants de milieux modeste sont les plus pénalisés par l’abaissement du niveau des diplômes car ils n’ont pas de réseaux familiaux, et notamment il leur est plus difficile d’accéder aux Grands Ecoles. Evidemment les plus débrouillards s’en sortent quand même, mais quel taux de perte !

Comme le disait un ministre qui s’y connaissait en destruction de l’enseignement : « l’éducation nationale organise des naufrages afin de repérer les meilleurs nageurs ».

Nous devons donc apprendre à lire et à écrire aux  bacheliers qui entrent dans l’Université : ils savent l’alphabet mais ne peuvent tirer l’essentiel d’un texte après lecture, ni exprimer par écrit  une pensée claire et cohérente, ni dans leur langue maternelle, ni dans une autre.

 La difficulté est que la curiosité d’apprendre vient avec la culture .Ils ne sont donc même pas curieux !

Les enseignants : certains sont  médiocres, peu motivés, peu au fait du réel, se complaisant dans des discours creux. Pour ceux qui ont des qualités scientifiques et pédagogiques parfois remarquables : leurs talents sont gaspillés car ni la médiocrité, ni l’excellence ne sont véritablement sanctionnées.

Pour les étudiants, le dogme est la non-sélection à l’entrée, et même la « non orientation » qui pourrait se faire à partir d’un diagnostic et d’un entretien. Que dirait-on si l’on exigeait d’un menuisier qu’il fasse de beaux meubles et qu’il ne puisse choisir son bois ?

Les étudiants se précipitent dans des filières sans débouchés à la  hauteur du nombre des étudiants qui les suivent. Ainsi sont « produits » des cohortes de sociologues, de psycho-sociologues, de licenciés en littérature moderne, de spécialistes en « sciences politiques » ou en sciences économiques « générales » ou encore en histoire de l’art…. Ces matières ne sont pas critiquables, en elles-mêmes, mais  il y bien trop de diplômés alors que les filières scientifiques sont relativement peu fréquentées et les besoins non couverts.

Il existe aussi un effet pervers de la quantité car les crédits sont attribués aux Universités surtout en fonction du nombre d’inscrits.

Parfois, il se crée des filières sélectives où les étudiants trouvent du travail. Même dans celles-là, la démagogie fait des dégâts : on donne souvent les diplômes à des étudiants qui ne sont là que pour « faire nombre » afin d’équilibrer les budgets.

La gestion est très hypocrite. Des aller-retours entre la création de ces filières professionnelles pour lutter contre le chômage et les attaques périodiques visant à les réduire en raison de leur supposé caractère « élitiste ». Bien évidemment il s’agit d’élites : les contribuables et  les employeurs ne s’en plaignent pas

Evitons de tomber dans le piège de la formation universitaire destinée à donner une bonne culture générale, loin de toute préoccupation bassement marchande. Quand un million et demi de jeunes gens son inscrits dans les universités (chiffre 2012) il n’est plus temps de se demander si l’enseignement supérieur doit permettre d’acquérir des compétences utilisables : c’est nécessaire.

Pourtant personne ne semble avoir vraiment envie que tout cela fonctionne.

Est-ce un hasard ?

2-       LA PROGRAMMATION DU DÉSASTRE

Existerait-il des personnes , des groupes, des partis qui auraient intérêt à ce que les enfants soient de plus en plus ignares, privés de repères, frustrés de n’avoir pas de débouchés, et donc manipulables ?

C’est évident pour les socialistes : « s’il n’y avait plus de mécontents, nous n’aurions plus d’électeurs». Certains le disent avec cynisme, d’autres sont plus naïfs ou plus prudents.

Pourquoi en effet un étudiant qui fait de bonnes études, trouve du travail, gagne bien sa vie au cours d’une carrière intéressante, dispose de bonnes écoles pour ses enfants etc… irait-il voter socialiste ?

Pour certains, les socialistes sont rejoints ici par les supermarchés et les groupes commerciaux qui ont eux-aussi intérêt à avoir des consommateurs dociles.

Voyons bien le schéma à peine caricaturé : des étudiants frustrés devenant les troupes de la « révolution », et des consommateurs également frustrés poussés à l’endettement.

Quel est le processus de pourrissement qui explique la situation ?

Ne pouvant prendre le pouvoir en Europe occidentale par les fusils, les révolutionnaires marxistes ont choisi dans les années vingt d’infecter les circuits sociaux des pays cibles : enseignement en tout premier lieu, milieux culturels, magistrature, milieux religieux, et évidemment milieux syndicaux et politiques.

Cela a pris du temps, d’où l’expression de « longue marche » employée tout d’abord dans un sens symbolique, mais le résultat est là.

La version « enseignement » de la méthode a donné ce qui suit.

Le pourrissement a commencé par la tête : l’Ecole Normale Supérieure. Voyez Sartre et Beauvoir dans les années d’avant guerre… Les « normaliens » ont ensuite formé les autres enseignants.

Tout à fait typique, les « travaux sociologiques » de Bourdieu et Passeron .(premier ouvrage bien connu :» Les héritiers ».

« Il faut refuser que l’école inculque aux élèves la « culture dominante », évidemment bourgeoise et pro-capitaliste :

Il faut « déconstruire les stéréotypes de la culture bourgeoise » et on n’apprend plus à lire, écrire, compter….

Tout ce qui est transmission est nié et pourchassé, interdit, au bénéfice de la découverte spontanée par les enfants.

Les opinions, les convictions, remplacent les savoirs, plus question d’autorité « auctoritas », pourtant, « ce qui nous vient des fondateurs et nous élève, auctor, auctores… .

Tout ce processus est voulu par la « coalition des médiocres » dont le fonctionnement mérite un autre article à lui seul.

La fin de l’histoire est en tout cas bien cela : des individus décervelés, sans repères, sont la matière première de tous les socialismes et aussi peut-être de la foule des acheteurs passifs des supermarchés…. : électeurs abrutis, consommateurs dociles…

Conséquence : un grand gâchis national en termes d’efficacité, des frustrations, du mécontentement. Si nous voulons que notre pays sorte de son déclin moral, culturel et économique, ce gaspillage doit cesser. Est-ce vraiment ce que veulent les fossoyeurs ? Pour nous, en revanche le choix est clair.

3- LA POSSIBILITÉ D’UNE RECONSTRUCTION

L’Université que nous voulons sera efficace et moralement supérieure car elle donnera ses chances à toute personne qui veut travailler.

Petite nuance : dans certains endroits de l’Université il existe des zones d’excellence ,quasiment par mégarde : il y a un tel désordre que l’on peut parfois faire du bon travail sans être trop dérangé. Malheureusement cela est soumis aux attaques de la bureaucratie idéologue qui ne peut supporter longtemps de tels écarts.

Reconstruire ?

Il faut s’appuyer sur des principes et des valeurs, afin de créer un terrain propice à l’acquisition de compétences utiles.

Les  valeurs à transmettre peuvent très bien être par exemple la responsabilité personnelle de ses actes par tout un chacun, la recherche de la compétence, sanctionnée bien évidemment, le sens de l’effort qui justifie la rémunération et non pas l’assistance.

On voit bien « en creux » que les pouvoirs actuels font tout le contraire depuis fort longtemps !

Le véritable intérêt des personnes modestes n’est pas l’école de Bourdieu, bien au contraire.

En effet, une école qui ne transmet rien abandonne les enfants des milieux culturellement les plus modestes.

Un système de bourses peut très bien aider les personnes aux revenus modestes. Il doit s’agir de bourses au mérite et non sur critères « sociaux » ! Les critères sociaux n’ont pas leur place ici. Dans le logement ou la santé peut-être, mais en aucun cas dans un système qui vise à donner des compétences.

S’il y a sélection et orientation : pour ne pas « laisser sur le bord de la route » des talents potentiels, il faut diversifier l’offre de formation. Les IUT par exemple dont les diplômés se placent souvent bien mieux que des étudiants des filières longues, devraient représenter une proportion plus forte des filières. Nous les avons créés en France en 1967 alors qu’ils existaient dans certains pays voisins, depuis le début du XXème siècle.

Sortir du choix dialectique « entre les cultivés qui ne savent rien faire et les techniciens incultes ».

A base d’autorité qui transmet le savoir.

Le retour au réel est également nécessaire : le monde tel qu’il est demande des compétences et de l’initiative, le sens du travail en commun. Paradoxalement, les collectivistes ont promu un individualisme débridé en exigeant « l’autonomie de l’enfant ». Il faut donner aux enfants-étudiants des outils pour trouver leur place dans la société en contribuant et non en vivant d’assistance.

Ce système serait « inégalitaire » ? Oui, sans  hésitation, s’il s’agit de  l’inégalité des talents et des résultats.

Cependant il faut chercher des talents partout où ils sont : la seule « diversité » qui vaille est celle des  talents.

Quels sont nos ennemis ? Les abusés victimes de l’illusion persistante du « droit au diplôme sont les premiers et il serait assez facile de les  détromper. Plus difficiles à « réduire » sont les personnes intéressées à la perpétuation du système : de nombreux postes de fonctionnaires, notamment de Professeurs ou autres enseignants seraient supprimés si l’enseignement était tourné vers l’acquisition de compétences véritables.

Il existe même des syndicats pour l’empêcher.

Quels sont nos alliés ? Oui, nous en avons. Tous les étudiants ne sont pas des paresseux et des futurs assistés. Tous les universitaires ne sont pas des pontifiants prétentieux abrités par leur statut, loin de là. Il faut cependant les motiver par la reconnaissance de leur contribution, par leur statut social, leur rémunération.

Il faut donc libérer les initiatives en cessant d’imposer un standard national unique.

Les établissements d’enseignement supérieur doivent avoir plus de liberté de choix des étudiants et des enseignants en y incluant les rémunérations.

Faut-il non pas supprimer le système d’Etat, mais susciter de la concurrence ?

Les leçons de l’étranger peuvent sans doute nous aider : personne ne croit que l’enseignement ne coûte rien et les efforts financiers doivent se traduire par des résultats.

Le débat est ouvert….

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