Jean-Paul Brighelli, « Geneviève Fioraso : Marcel Proust au bûcher ! »

Jean-Paul Brighelli, « Geneviève Fioraso : Marcel Proust au bûcher ! »

Jean-Paul Brighelli, avec qui le Collectif Racine se reconnaît une certaine convergence de vue, vient de publier une tribune sur Le Point.fr, réagissant à certaines dispositions de la loi Fioraso, principalement celle introduisant les cours en langue anglaise dans les universités françaises.

Nous abordions, à l’occasion de nos « brèves de l’été », plusieurs des points majeurs que soulève cette tribune : nous la reproduisons donc ci-dessous et en profitons pour reprendre nos propres analyses et positions telles que nous les formulions.

 

GENEVIEVE FIORASO : MARCEL PROUST AU BÛCHER !

D’abord le globish à l’université française. Maintenant les coups bas portés aux classes préparatoires. Trop, c’est trop, s’insurge Jean-Paul Brighelli*.

Geneviève Fioraso aime Proust, dit-elle. Mais sa récente loi sur les universités permet désormais (et recommande même) de l’enseigner en anglais – pardon, in english (1). Plus de Temps retrouvé mais, au choix, The Past recaptured, Time regained ou Finding Time again : si c’est ainsi qu’elle traite ceux qu’elle aime, que fait-elle à ceux qu’elle déteste ?

Parlez-vous franglais ? demandait il y a quarante ans le regretté Etiemble. Grâce au PS, nous savons désormais ce qu’est le progrès : ce qu’un grand universitaire mettait à l’interrogatif (angoissé) en 1964 est passé à l’affirmatif en 2013.
Nicolas Sarkozy s’était déconsidéré jadis en une phrase malheureuse sur La princesse de Clèves. Mais au moins, tout américanophile qu’il fût, il ne préconisait pas de traduire en globish – le nom nouveau du babélien que dénonçait jadis Etiemble – le roman de Madame de Lafayette. Devrons-nous, comme on l’a fait il y a sept ans pour la malheureuse amante du duc de Nemours, organiser des lectures publiques (ou clandestines) de Remembrance of things past ou de In search of lost time – in french in the text ?

Que sait madame Fioraso ?

Le français utilisé dans les universités françaises n’attirerait pas, paraît-il, « les étudiants de pays émergents comme la Corée du Sud et l’Inde. Et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table », a déclaré madame Fioraso. Comme l’a très bien remarqué Antoine Compagnon, la Corée du Sud sera contente d’être classée dans les pays émergents. Mais Madame Fioraso ne fait ni tache ni exception : elle appartient à un gouvernement dont le chef pense que la Macédoine s’appelle la Macédonie, et que les Japonais tués dans un site gazier algérien sont chinois. Sait-elle seulement assez d’anglais pour reconnaître, derrière l’énigmatique titre Cities of the plain, le Sodome et Gomorrhe de Proust ? Sait-elle qu’un colloque Proust attire non pas cinq mais cinq cents personnes – qui, anglaises ou javanaises, parlent de la Recherche en français – avec ou sans accent ? En fait, que sait-elle ?

Les étrangers qui viennent étudier chez nous veulent apprendre le français, la culture française, la séduction à la française – et les mots pour le dire. Pas pour avaler un succédané de ce qu’ils ont à la maison. Ils viennent pour la part d’excellence qui nous reste – pas pour se noyer dans le flux médiocre d’une pensée normalisée, mondialisée, un prêt-à-penser aussi insipide que le prêt-à-vomir de chez McDo.

Tout cela ne serait qu’anecdotes si l’on ne flairait, dans ce gouvernement plus encore que dans le précédent, un mépris global pour la culture telle qu’elle s’enseigne. Est-ce un hasard s’il n’y a aucun(e) littéraire au cabinet du ministre de l’Enseignement supérieur (qui préfère se faire appeler « la ministre », les fautes de français caressent les féministes dans le sens du poil) ? Quand on prêche l’enseignement de l’ignorance, comme disait jadis si justement Jean-Claude Michéa (2), c’est que l’on a une idée derrière la tête – et cette idée, c’est que plus personne, à terme, ne décrypte Albertine disparue, pardon : The Sweat Cheat gone.

Détruire les prépas

Autre détail, mais le diable est dans les détails : Geneviève Fioraso veut faciliter, prétend-elle, l’accès aux études supérieures des moins fortunés ; mais elle choisit d’imposer aux élèves de classes prépas, y compris scientifiques, ce dernier refuge des bons élèves, de quelque milieu qu’ils viennent, le paiement de droits d’inscription dans une université qu’ils ne fréquentent pas – et ce n’est pas rien : au minimum 460 euros si on prend en compte la sécurité sociale étudiante, ce qui fera entrer 9 millions d’euros dans les caisses de l’État. Byzance !

On m’objectera que les étudiants vraiment pauvres sont boursiers et ne paient pas de droits d’inscription, que cette décision ne taxe que les riches, bien fait pour eux, bla-bla-bla… Mais un couple de fonctionnaires moyens n’a pas accès aux bourses, et ce qu’ils gagnent leur permet tout juste d’acheter les livres de classe de leurs enfants – qui ne sont pas gratuits dans le supérieur. Ce ne sont plus les riches que l’on ponctionne aujourd’hui, mais les classes moyennes, éternelles vaches à lait d’un PS convaincu qu’en tapant sur ceux qui composaient jadis son fonds électoral, à commencer par les enseignants, ils continueront à voter pour lui : d’aucuns n’ont rien compris à ce qui s’est passé en 2002, ni rien prévu de ce qui se passera en 2017.

Par ailleurs, les classes prépa sont, à court terme, incitées à se fondre dans les universités, qui sont si bien des gages d’excellence qu’elles apparaissent à peine, et fort mal placées, dans le dernier classement de Shanghai (3) – que Geneviève Fioraso critique à haute voix, mais dont elle se soucie fort. En France, nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons une idée – et une seule : détruire ce qui fonctionne, et pour des raisons strictement idéologiques. Les prépas sont le dernier refuge de l’excellence systématique, de l’élitisme bien compris, le dernier lieu qui permet de hausser les élèves au plus haut de ce qu’ils valent (4) – le seul souci d’une pédagogie intelligente, pas de cette « pédagogogie » à bons sentiments, au pouvoir dans l’Éducation depuis une trentaine d’années. En assommant aujourd’hui les prépas, ce n’est plus seulement Mozart qu’on assassine, ce sont les cadres du prochain demi-siècle que l’on stérilise.
Peu importe : nous les importerons de Chine…

Le silence de Vincent Peillon

Il est au passage curieux que ce soit le ministre de l’Enseignement supérieur qui décide d’éradiquer à terme les classes préparatoires, sises dans des lycées, et que Vincent Peillon s’abîme dans un profond silence… On savait déjà que la rue de Grenelle commençait et finissait à Bercy. Dorénavant, il faudra également penser qu’elle se confond avec la rue Descartes. Mais tout cela, c’était la cuisine interne de l’Éducation – un domaine dont les Français se soucient assez peu, malgré l’urgence. Les enseignants sont trop payés, trop choyés, trop considérés, trop privilégiés, c’est bien connu.

Dois-je rappeler à la gauche que tant des siens furent par le passé de vrais intellectuels – et de bons élèves ? Que Blum avait publié dans sa jeunesse un Stendhal et le beylisme qui rappelle que l’intelligence est la condition nécessaire du bonheur ? Que les khâgnes et les Écoles normales supérieures (dont sortait Blum, justement) furent longtemps le laboratoire des minorités agissantes ? Mais d’où sortent les conseillers de Geneviève Fioraso ? Un seul d’entre eux est titulaire du capes, aucun apparemment n’a fréquenté l’agrégation. Après tout, on ne méprise bien que ce que l’on ne connaît pas.

Last but not least, comme il faut désormais s’habituer à dire : cette année, je travaillerai (avec mes prépas…) sur Un amour de Swann. Et savez-vous comment les Anglo-Américains appellent ce livre, Madame le ministre ? Eh bien, Un amour de Swann, tout simplement. Ils viennent à nous quand vous prétendez aller à eux.

* Professeur de classes préparatoires, essayiste.

Source : Le Point.fr

 

—————————— NOS COMMENTAIRES ——————————

 

(1) La loi Fioraso prévoit que des cours pourront désormais être dispensés en anglais, c’est-à-dire en « globish », à l’université (art. 2). Cette décision procède de ce mondialisme absurde qui prétend depuis trente ans « armer » la France en lui faisant renoncer à elle-même, alors que les élites françaises trahissent et la langue et les intérêts de la nation. Le Collectif Racine entend cet appel lancé par des chercheurs étrangers : « Français, gardez votre langue à l’université » (brève du 27 juillet 2013).

 

(2) On pourra lire ici notre recension de L’Enseignement de l’ignorance de Jean-Claude Michéa.

 

(3) Nous abordions, le 16 août 2013, la question du « Shanghai Ranking » : A chaque fois que paraît un classement international des établissements d’enseignement supérieur, les autorités françaises se trouvent plongées dans l’embarras. C’est une nouvelle fois le cas, avec la publication du « Shanghai ranking ». Il ne suffit pourtant pas, pour se dédouaner des mauvais résultats français, de simplement contester les critères de classement, car c’est bien évidemment au niveau mondial que la recherche, tout particulièrement scientifique, se déploie. Ce qu’il faut, pour que la recherche française renoue avec l’excellence et puisse concourir à armes égales sur la scène internationale, c’est une politique nationale ambitieuse qui en définisse les objectifs, l’encadre, et lui accorde les investissements nécessaires. L’orientation commune aux lois LRU et Fioraso est pourtant exactement inverse : ainsi qu’exigé par l’intégration européenne, elles subordonnent les universités aux (hyper-)régions et à leurs particularismes économiques. Pour le Collectif Racine, ce classement souligne, en cette matière comme en toute autre, les effets délétères de l’UE.

 

(4) Notre conception de « l’élitisme bien compris » est la même. Les classes préparatoires en sont l’un des derniers « refuges », au même titre que le Concours général que nous évoquions le 10 août : Parmi les ruines d’une Ecole dévastée par les bons sentiments égalitaristes, au titre desquels toute sélection a été battue en brèche, jusqu’à provoquer l’abaissement général du niveau et le triomphe du médiocre, subsistent quelques bastions de la méritocratie et de l’élitisme républicains : le Concours général, par exemple, qui distingue chaque année, dans les disciplines générales, technologiques comme professionnelles, les meilleurs des lycéens. Et tous ceux qui voient une contradiction entre une Ecole démocratique et une Ecole élitiste commettent un contresens sur l’une comme sur l’autre : une Ecole véritablement démocratique doit en effet donner des chances égales à tous, en permettant à chacun de s’élever selon ses talents et ses mérites, ce qui passe aussi par une reconnaissance et une promotion des jeunes gens les plus talentueux et les plus méritants. Le Collectif Racine entend réhabiliter et restaurer pleinement le modèle méritocratique républicain, dont le Concours général est tout particulièrement emblématique !

2 commentaires on "Jean-Paul Brighelli, « Geneviève Fioraso : Marcel Proust au bûcher ! »"

  • Brighelli a écrit La Fabrique du Crétin qui peut devenir un livre de chevet, à relire ou reparcourir.

    Ce qui est aberrant chez les socialistes; c’est toujours cette inversion de logique, de valeur, toujours des raisonnements ou interprétations absurdes, incohérentes.
    Si un étudiant étranger veut venir chez nous, c’est bien parce qu’il sait qu’en France, on parle français, et qu’il est précisément intéressé par cet apprentissage. Une oeuvre française s’étudie en français, aucune traduction ne lui sera fidèle à 100%. La langue est comme une musique, lire Proust en anglais c’est comme boire du coca avec avec un plat raffiné ! Et il en est de même pour Hamlet en français : ridicule !

    Quant aux incompétences notoires des membres du gouvernement, ils ne méritent pas leur place ! En revanche, ils sont ,pour une fois, en cohérence avec leurs principes : ils ne sont pas arrivés là où ils sont par méritocratie !!!